(13 janvier) Nous l'avons déposée et déposée

Nous l'avons déposée et déposée, c'est peu dire.
N'ayant plus qu'un pronom à disposition, elle
apparaît maintenant perpétuellement imparfaite dans le temps
du souvenir où nous la plaçons pour perdurer,
comme dépossédée de jeu, interminablement indéfinie.

(12 janvier) Parce que l'esprit est presque vide

Parce que l'esprit est presque vide, à l'image de l'image
de la froide maison de terre, nous le meublons
avec l'extrême austérité du rite. Pleurs ordonnés,
le rituel astringent économise le souffle, prévient
l'épanchement ou mieux le canalise.

(11 janvier) Je dis que la Seine sera le fil

Je dis que la Seine sera le fil, la prédelle continue
à l'enluminure de ce retable austère exactement orienté
au-dessus d'elle. La finalité de ce retable orthonormé
est la mémoire, sobrement historiée, planifiée, étagée
pour une utilisation maximale de l'espace rituel.

(10 janvier) On subit une sévère intempérie d'entrailles

On subit une sévère intempérie d'entrailles, titubant sur l'axe
de symétrie que nos pieds soupèsent. Les sens en sont brouillés
au point qu'on ne sait plus situer l'horizon ni même distinguer
l'horizontale de la verticale qui nous semble un sursis. Au point
que nous coulons avec le mimosa.

(9 janvier) C'est dans la froide maison de terre

C'est dans la froide maison de terre que nous l'avons descendue,
un parfait parallélépipède, symétrique aux élévations de la vanité,
et que nous regardions comme une béance à combler. Elle s'est enfoncée
sous la légèreté du mimosa, légère à jamais, et pauvre, et jaune.
Jour bâti sur un abîme, nous te voyons encore, à la lumière redoublée.

(8 janvier) Quelques pas sur le rivage de la mort

Quelques pas sur le rivage de la mort
tandis que nous survolaient les mouettes rieuses.
Le petit cimetière Rue du souvenir français
anciennement Rue du cimetière surplombait la Seine
comme les gradins de l'amphithéâtre. Elle resta sage et silencieuse.

(7 janvier) Images floches et fanées.

Images floches et fanées. Nous errons parmi les souvenirs
comme parmi les feuilles. À quoi cela sert-il vraiment, et s'il s'agissait
de reprendre ce qui nous appartient, une aiguille dans une botte de foin trouvée
ravive notre conviction de la continuité, la preuve :
une fleur de temps en temps survit au désastre.

(6 janvier) Alors l'âme, c'est au vivant que soudain elle fait défaut.

Alors l'âme, c'est au vivant que soudain elle fait défaut.
De moelleux point de référence au cœur, plus. D'ailleurs il est brisé. 
De flexibilité des tissus, plus. De flux incessant non plus.
J'en reviens à la brièveté - sensation interminable - subitement
déterminée à la puissance x de la vitesse d'interruption.

(5 janvier) Passée n'est pas finie.

Passée n'est pas finie. La voici
qui perdure en tant que forme éternellement connue
- identifiable - la voici plus image que jamais
et partagée, associés que nous sommes les uns aux autres
comme les organes par le réflexe consensuel.

(4 janvier) Sa parfaite symétrie

Sa parfaite symétrie - va, majeure, majorant le cri -
l'éclat rouge-violet - fatidique - d'une vie perçue - passée -
(éclat unique bien que similaire aux autres)
entre crête et croix sans pareille pour évoquer le fardeau
- une montée puis la catabase des mythes -.

(3 janvier) Tandis que le feu souterrain

Tandis que le feu souterrain nos subjugue encore
que la blanche sédation atermoie
la feuille petite de l'érable rouge
glisse entre deux pages du carnet de bord
où elle est comme l'empreinte d'un coq dans la neige du livre.

(2 janvier) Ce matin le gel.

Ce matin le gel. Non pas le gel des avoirs,
mais celui des fonctions vitales de tout un être.
Le paysage est tout entier figé,
comme toi qui es figée sous le drap.
Une fine couverte sédative le recouvre.

D’évidence, comme on dit de joie, ou de peur

D’évidence, comme on dit de joie, ou de peur
tu voudras témoigner de mouvements et variations
qualitatives, variantes non moins vraies qu’innombrables.
 
Certaines sont cachées au cœur de la langue - dit comme ça, ça a tout l’air d’un programme -.
 
Certaines sont cachées au cœur du cœur. Petit bois au cœur
du fagot que je rassemble - ce qui se nomme l’âme -
 
membrane double du soufflet comme une cage thoracique,
et qui ranime la flamme, c’est l’âme, encore l’ âme,
moelleuse, dans le cylindre qu’est le calame proximal,
 
celui-là même qu’on utilisait jadis pour écrire,
et tu voudras essayer d’atteindre ce centre vital,
oui ! Mais c’est toujours sans bien connaître tes fins.

Méfie-toi des feuilles.

Méfie-toi des feuilles. Prends garde aux voix.
On entend l’invasive rumeur portée hors du temps dans
les huées, là où est traversée la forêt du change.
 
Toi écoute-les ; qu’est-ce que ça peut faire, feuilles mortes
ou pas, avec ou sans vent, alignement ou fatras de manches
à lame dérobée, terre labourée tout autour de l’oranger
 
qui n’en a que le nom. Tout n’est que description, diagramme
à branches, digression. Mais c’est ce tout en ses variations qui m’occupe,
avec la certitude d’être sur le point de sombrer.

Les choses arrivent.

Les choses arrivent. Comme il est dit,
elles arrivent à travers le brassage
                           sonore.
Du déjà vu, du vent.
Des feuilles non ratissées, détrempées. Le bruit du vent
dans les branches comme des rames. Un débarquement, une
                     
                           soudaine anabase.
   État critique dans la cage thoracique éprouvée.
 
Un oranger du Mexique non loin d’un mur.
Forte impression.
Où le trouveras-tu, ton mobile ? Où trouveras-tu le mobile pour persister ?

Et tu as perdu

Et tu as perdu quand tu regardes le chantier, tu penses tout ira bien -
vraiment, tu penses t’en sortir indemne - mais cela n’existe pas,
car l’intégrité n’est pas l’immuabilité. Tu appuies tes racines à nues
sur la compréhension du terrain, désir hypogé, patience, l’expérience
te mènera c’est certain au non-sens et au vent plus qu’à la raison.
 
Plus que de raison c’est du vent. Mots et feuilles tombées des saisons
misérables puisque passées, vent, du vent la lamentation inarticulée,
incompréhensible, sur ce trou qui dépare pour l’instant le jardin, le trou est fait.
Déposer, colleter, tu - mais où es-tu à la marge de tout, nulle part ! -
insaisissable, tu dois vivre en terrain inconnu, où la vie trouvera son mobile.

Ce pic

Ce pic - il est pourtant muet - sa patine est une invitation à l’action.
Disons cependant qu’il ne dit rien des mains qui l’ont tenu par le passé,
pas plus que l’oranger au bord du trou ne nous enseigne le Mexique, ou prophétise
l’âge d’or - pas même des calamités -. L’instant est vif de ses propres qualités :
sol dur et concret, auquel bêche et pic répondent jusque dans la paume de mon fils Pierre.
 
En tout premier lieu il y avait : planter un poème. Mais voici que j’ai omis
mon intention, occupée par la compacité du terrain : cailloux à déplacer
devant le mur gris, havre trop froid et la bouée de feuilles. L’instant - indivis -
figé dans le vent glacial, j’ai beau chercher la contradiction, l’oranger
à fleur de sol ne donne pas le change ni l’avenir, seulement un présent de courants d’air
 
et d’engelures. C’est déjà beaucoup, bien assez pour me perdre.
 
J'ai voulu que l'expérience conduise où elle menait, non la mener à quelque fin donnée d'avance. Et je dis aussitôt qu'elle ne mène à aucun havre (mais en un lieu d'égarement, de non-sens)*
 
*Georges Bataille, Expérience intérieure, Paris, Gallimard coll. « Les Essais », 1943, p. 17

"Choisya ternata"

Choisya ternata est son nom. À l’endroit choisi, devant
un muret qui coupera de la bise, un alignement d’outils
dont le tranchant affilé se perd dans l’épaisseur de feuilles,
le pic qui est comme une ancre - l’endurance confrontée à l’amer,
à la cinquième génération - s’adosse à un tronc bien plus jeune.
 
À la lisière de l’instant cette conjonction de périodes.

On peut avoir à planter un oranger

On peut avoir à planter un oranger du Mexique, cela ne change rien.
Le vent - sa charade - défait les arrangements. Déroge aux prescriptions,
s’écarte du sujet pour revenir, la bise acérée nous fauche en fauchant
au pied du mur les feuilles. Au revers de ce que nous appelions
fête, un vent somptuaire s’approprie tempes, têtes, et reins.

Mais ici - ce jardin travaillé -

Mais ici - ce jardin travaillé -
ici seulement on peut jouer avec la matière. Ici
s’absout l’obstiné par la fatalité du cycle :
il entre de lui-même dans le cercle des saisons
/des châteaux, il façonne les usages d’un monde
 
comme le temps le façonne, lui, il ratisse
aussi bien les feuilles que les floches, que ces feuilles qui
ne sont que feuilles mais seront autre chose,
partie intégrante de la confusion noire et blanche de l’hiver,
le manège brumeux qui mange les lisières,
 
osmose, agrégation.

On ne ramasse pas les feuilles de la forêt

On ne ramasse pas les feuilles de la forêt dont le sol doit rester couvert.
Juste éclaircie, c’est le seul soin qu’elle requiert,
et encore. (Je ne dis pas élucidation.)
 
Elle est sa persistance : profusion et économie,
autorégulation des ardeurs, tempérance
- elle qui fut un territoire soustrait à l'usage général
et dont le roi se réservait la jouissance -
elle doit rester souveraine, c’est la moindre des choses.