Je l’écoute

Je l’écoute, sa façon absolument singulière
de le laisser faire entre les valves parcheminées
disjointes, découvrant au centre la monnaie luisante, la frappant
de son empreinte, suscite ma spéculation la plus - non
pas boursière, je ne m’y entends pas - la plus sensuelle,
 
en fait, c’est un petit miroir que nous tenons là,
au lustre sans âge bien que séculaire : que chaque printemps
le vent vient dans la lunaire déloger la graine, qu’il
déchire l’âme pour la faire vivre étrangère
et toute pareille à elle.

sauf la lunaire

sauf la lunaire,
je tourne autour d’elle comme autour d’un astre 
et elle tremble un peu,
les siliques cliquètent et clignent au soleil, ne va pas
voir un printemps dans ces breloques résiduaires
 
- vieilles et obscènes - n’y va pas !
c’est un leurre (non, c’est une fleur
au vécu délicat, non, c’est une fleur,
le murmure de ses valves en dit long sur le vent,
son monde familier).

Voix unanime

Voix unanime : tous les vouloirs vont dans ce sens,
printemps pourtant n’y est pas.
On ne sait où ni quand il viendra.
On ne sait pour quel lecteur et pourquoi on écrit ceci.
Est-ce pour que le printemps s’avère 
 
ou pour avérer - regarde mieux ! - notre désir ?
Tout a un air d’attente et de décence,

et l’autre

et l’autre - la mal fichue - la reçoit comme un artifice
nouveau, donné pour efficace. Moi j’attrape le fou rire devant
la déhiscence explosive, comme ça, sa crédulité jaculatoire,
que tout fait feu, et dans le mille, non bien sûr, ça ne marche pas ainsi
mais on peut toujours essayer. Le coq et l’âne aussi.

 

C’est exactement

C’est exactement ce dont j’ai besoin.
Vulnéraire qui s’ignore enfin sort de sa réserve,
l’accès de sève ouvertement - ou vertement -
sert le bleu lamentable, et l’empourpré lamier
flageole sur sa tige grêle et quadrangulaire
 
de timoré qui part en goguette, la couleur apicale
en bannière, comme s’il portait écu ou armes,
il fait signe et vite à l’œil falot. Ou bien la
cardamine hérissée qui abrite l’aurore,
cette hirsute dégaine à tout va,

Et c’est là

Et c’est là que - non, vraiment ! Aussi
facétieux qu’un nuage chantourné vague
derrière tes paupières orange,
il surgit de bourgeons rosissant,
dévore l’entre-deux, s’agrège l’axe, altère les yeux.

Ne le sais-tu pas encore ?

Ne le sais-tu pas encore ? Ne sais-tu pas que la
force qui les fait soulever le sol et lever de concert
les fait aussi chuter ? Que ce mouvement perpétuel
et variable requiert une oreille différente, chaque fois, et
une invocation à l'équivalence - et non une interprétation - ?
 
Grandes ombres justifiées par les masses, fatales tourterelles
au plain-chant, germinations, bourgeonnements,
je vous cherche sachant qui vous êtes, (ou plutôt qui vous fûtes,
car vous n'y êtes pas, contrairement à moi) :
je vous cherche à la saison désamorcée,
 
au cœur des miroirs ou au creux des…
des chemins où le désarroi s'organise
et j'écoute flûter le vent. L'herbe mûrit
sa patience et l'arbre t'instruit
à sa stratégie : le retard à l'accord.

On ne peut pas tout expliquer

On ne peut pas tout expliquer, à quoi cela servirait-il ? Mais
on peut regarder ailleurs, où on met les pieds par exemple.
(Notons bien que nous ne prêtons pas sur nantissement, ça, c’est une affaire
exclusivement humaine, et nous ne sommes pas les créanciers de la nature, non,
donc, ne cherchons pas d’explication, y compris rétrospective. Observons.)
 
Attendons. Regardons le sol, la levée ténue des asters.
Ce n’est pas une antichrèse, me dis-je, respire : ne t’attends à rien.
Attends ce rien qui vient gracieusement, exactement
comme tu es venue au monde, comme tu survis aux questions les plus sombres :
il n’y a pas de fraction sinon molaire, le monde est intégration,
 
dont chaque fragment requiert ton attention. Il
exige de toi le geste décisif - que je ne me connais
pas, a priori, non - l'évaluation et la mesure à l'aune
des matins brouillons et des nuits lucides mais
avec l'amour dévolu à l'élucidation des espaces.

Voilà, pensé-je

Voilà, pensé-je, comme avril entraîne par le fond
ce qu’il a juste propulsé, voilà ! et les mésanges, aucune consolation,
et les tourterelles où sont-elles ? On pensait percevoir un sens
à l’entreprise, erreur ! Du vent, rien que du vent !
Distraits par la fleur à son resplendir, on en oubliait la fin incertaine,
 
pris au piège des trente-six chandelles au diapason du printemps.

Du gel

Du gel, au magnolia de Soulange, à la cerisaie, aux
Dicentra spectabilis entre les dalles, la contraction lamentable.
Épargne-moi la séquence du Cœur-Saignant trop précoce, flageolant
sous la glace. Forcément, je pense à la Piéta, socle évidé et corps
dérobé sans l’être, hélas, avril ! (c’est toujours une élégie)

Dans un registre primitif

Dans un registre primitif ta peur s’étend. La tessiture
vernale tue : d’abord la cerisaie, trop vraie pour n’importe qui,
dont l’énorme candeur te renverse, et à tes pieds, parce qu’il fait six,
le grésil s’émie sur la terre crue. Qu’as-tu vu, entendu ?
Tu ne sais plus si c’est la rumeur ou le répit.
 
Avec la métrique qui se désajuste comme une vague,
- au-dessus d’elle les oiseaux grappillent les miettes de soleil -
les bêtes ingénieuses la voient comme un flux, moi, comme un surcroît
d’intensité, une trop vive lumière au sortir d’un tunnel
exacerbe la fleur, nerveuse, en la désagrégeant déjà.

Peut-être est-ce l’esprit triomphal

Peut-être est-ce l’esprit triomphal et bruyant qui t’effraie ?
Ferme les yeux : l’accrue de rumeur, la superbe vigueur, tu la sens
jusque dans les muscles courbatus. Par défaut ta peur justifie
ta réserve. Retenue, la joie fait mal. Ne cours pas, demeure !
Ne meure pas, écris !
 
Le printemps, la chambre : sont pleins de cette joie ; toi seule la retient.

Éblouissements, vertiges.

Éblouissements, vertiges. La cerisaie abonde, à la criée
par-dessus nos siestes dilettantes. À genoux nos émois vers
quelques thyrses blancs, déjà aliénés. À genoux. Déjà ! je me suis dis, 
que vivre étrange ! Croître est le credo de cette alacrité
à corps et à cri, mais au fond la perspective chute.

Péril, tu le sais montant.

Péril, tu le sais montant. D’abord il y a l’herbe différente,
plus profonde. Que les genoux marquent. Et cette alacrité
générale, vigueur et clameur, euphorie tragique des débuts :
même l’œil germe, subjugué par l’esprit d’attaquant, bien
malgré lui - est-ce que je me fais comprendre - l’esprit vernal.

Oui, je pense tutoyer

Oui, je pense tutoyer cette fois encore : ainsi je prends
mes larmes pour des lentilles. Ainsi je recommence
à compter avec la fraîcheur de l’ortie ou la gracilité
des stellaires, à me confier à la douceur, et
- terre, je te remets mon corps.

Une seule idée

Une seule idée ; et le verger entre avec toi
dans le poème, ou sa force de persuasion te confond
telle que tu es, au sortir de l’hypnose, te réveille et te secoue.
La densité t’impose son sens dessus dessous rayonnant,
peu importe, c’est la profondeur du réveil qui compte.

Il y a bien la guerrière

Il y a bien la guerrière du Livre des échecs amoureux moralisés
elle se tient debout en armure avec sa lance et à son flanc le bouclier à tête d’oiseau.
Est-elle souveraine ou Demoiselle ? Sa têtière à plume est couronnée  
d’un houppier verdoyant où vient se poser un corbeau - presque un jardin -.
Contre toute attente elle semble jouer en défense.