Mousse

Mousse, promet-elle une nuit fraîche plus
que l’après-midi, ou plus humide ?
On erre affaibli. Sauves conditions de l’enthousiasme
dans le pas meuble, de mémoire de forme,
mais pas trace. As-tu seulement eu le temps de combler le doute ?

Bruyère

Bruyère : un bruit en lisière. Dans un nom
si commun l’enfance cisèle son histoire,
c’est toujours la même, (une vipère
a mordu un enfant de la colonie, depuis cet épisode
elle associe fuite et bruyère).

C’est pourquoi j’affectionne

C’est pourquoi j’affectionne les seuils.
D’extravagants mondes en perspective
que prospecter leurs gisements rendra certains.
Grande fougère à l’attrait disséminé par le soleil
est un aigle relatif, invasif dans le sous-bois.

Parole de fougère

Parole de fougère. Je transcris. Je note. (J’exagère.)
Fougère acerbe qui ne dit pas son nom -
son nom est dans l’autre monde : le livre profond
paré de chiffres (cruel, ce chiffrage), 
où il faut aller voir. 
 
Il faudrait réunir les deux versants :
l’escarpé d’où dévalent les fougères
l’escarpé où l’observation les a consignées.
La phénoménale efficience du dictionnaire.
Instantanés sont ses effets sur le poème, et à long terme aussi.

ou bien ce sont les mots

ou bien ce sont les mots, ils s’acquittent ainsi de la dette envers le vert
le profus - vertigineux enchevêtré dévalant jusqu’à nous
quand nous roulons -.
As-tu cru un seul instant qu’osmonde te donnerait un monde ?
Oui et non. J’ai cru à la connivence du poème - à sa réalité -.

il n’y a qu’à changer le poème

il n’y a qu’à changer le poème, comme on change le monde,
ou mieux laisser faire aigle et reine ensemble,
tout finit toujours par des accommodements,
et d’appointement en appointement par arranger un sous-bois
réaliste - pointilliste -, des fougères ciselées,

Alors c’est ça !

Alors c’est ça ! C’est une fougère aigle et toi,
tu la dis « osmonde » ? J’avoue. Très humaine
présomption, penchant à nommer, vite (mais le nom ne ravit
pas la chose, comme on voit. Ni ne l’atteint.)
Elle est là, froncée, racine décolletée, sur le sol noir,

Elle joue avec nos nerfs.

Elle joue avec nos nerfs. Ces yeux,
cristallins, regard pie, persuasif, et/ou dans le feu
de l’action. Une puissance muette épie
le moindre mouvement. Elle emboîte le talon
pour susurrer des secrets siliceux.

Matière de rêve

Matière de rêve, la callune. La dit-on
d’augure et de pouvoir sur le monde matériel ?
C’est qu’un rayon l’anime et enflamme
la terre qu’elle occulte d’un feutre
rose - nuage ou brande -. Et quand tout est balayé
 
par le vent elle demeure imprenable.  
Son rendement fantomatique est tel
qu’on peut y voir toutes sortes de figures.
Elle persiste, mais à un degré de désorganisation,
ou d'imprédictibilité qui fait sa nature prodigieuse.

Remontant

Remontant par la mousse et la fougère
très progressivement vers la couleur.
Remontant de la carrière - mais sans terre, trajectoire
ni passe d’arme -.
La bruyère franchit seule les faîtes, implore le rose-pierre.

(Aubazine) Nous descendons le temps.

Nous descendons le temps. Le granite orange
ponctue la pente. Fougères et laines dans les vergers.
On entend tout en bas le chant hâtif.
Au chemin rocailleux surplombant le ruisseau
incombe la jasione bleue.
 
Le fond du vallon, où 
vivaient les moniales, dans la clôture parfaite
du granite et de l’eau. Remous bouclé
du feuillage à l’hautain chevêtre.
Le taon a rompu la paix des muscles.
 
Je me demande alors où réside la tentation. Bon :
hautain chevêtre, bois noirci
à l’ombre du remous ; on ne voit rien que
l’efficience de l’ombre portant des feuilles en bouclier.
Où pouvait-il donc se trouver des portes ?

L'œil charnu

L'œil charnu défie le noyer.
Compterons-nous les brous comme d'un glas sourd ?
La combe l'entend par cœur.
La combe le porte et le répercute tout entier,
lui, fidèle au présage.

(Noyer) Il arbore son âge

Il arbore son âge.
Module sa phrase (mordant feuillage
de sels métalliques - cuivre irisé -
chant de pluie sous la brise).
Pinson des arbres : ses cursives l'agitent.

Sur le tambour de mousse

Sur le tambour de mousse il pleure,
maintenant de grosses larmes que la pluie évite.
À bruit secret - c'est son humilité - s'avancent ses branches.
Par deux les drupes sans raison
assourdissent l'horizon :
 
ainsi des voies de mousse allongent le regard
qu'elles stoppent. Austère performance agissante,
l'olive de sa destination à l'extrémité nous retient
de plonger.
Précieux brou sans écho, et sans prédiction.

Le noyer

Le noyer ne dépèce pas la brume, au contraire,
il la conforte. Maintenant mordançant, tournant ses,
dans un ultime bouillon.
La ramée s'improvise,
explore la nappe dont la rosée est l'adjuvant.

La buse

La buse envide son cri.
Variable seulement par le plumage, en elle est un lancinant,
perpétuel mouvement.
Nous sommes pris dans sa toile secrète.
Elle plonge de temps en temps pour marauder notre foi.

Pourtant la masse était sans contour

Pourtant la masse était sans contour,
la narcose était proche. L'immensité brumeuse confondait
la pesanteur. Puis soudain tout est apparu.
Clair, clarifié. Un éventail, d'un claquement de doigt
prestigiateur, a scintillé dans l'air cru vif.
 
Quelque chose s'est émancipé.
Mais par quel évent au juste ? Était-ce une faveur
ou une condamnation ? La métaphore
plantureuse imposait son éclaircie
sans l'aide de la pensée.

Un noyer nègre

Un noyer nègre obstrue la brume.
La réserve étanche les ténèbres, ou la matière,
dans laquelle le regard cogne, sans repères,
enivré d'espace plastique. Tu voles ? Je nage ou je me noie,
une branche salutaire me repêche.