Ce sont des bras

Ce sont des bras, penses-tu - branches basses
qui - je demande qui ? - brassent et avivent
un feu froid, te localisent - t’acculent ? -
à l’extrémité de tes doigts. Peut-on prendre la main
après tendre la joue à leur fouet ?

Nul besoin de tropes

Nul besoin de tropes où les fûts parlent
l'essentiel. L'interstice est aussi du langage.
La lumière perce lancéolée, appelle-
la rai, et le vent pénètre peu.
(Si cinglée c'est que tu participas au mouvement.)

C'est bien cela

C'est bien cela, des sous-bois denses,
des halliers serrés, c'est ce que tu te prescris à toi-même ?
Le fagot du sol en perspective des yeux,
ordonnés par lui, entre des piliers des hêtres
et des grands charmes, il circonscrit une âme, 
 
sylve, un lit de syllabes,
et une extension volontaires. Deux dimensions
pour dénoncer derrière la lisière fortifiée
des stères empilés, ce qui n'a plus lieu d'être.
Sans parler du parement de ruches.

C’est quoi ces questions ?

C’est quoi ces questions ? C’est qui ?
Qui parle ? Les laies s’entrecroisent.
Allées séparatives des coupes - à angle droit
la forêt en coupe réglée - signent d’autres axes 
d’égarement pour qui suit une obscure syntaxe.

Et les fougères

Et les fougères, leurs flammes élancent le sous-bois.
La tentation serait de chercher des sentences, tant
la forêt, sa verticalité gnomique,
son obscurité tressée, nous enseignent. Ici pas de bruyère, j’attends
seulement la raiponce bleue.

Je passe

Je passe dans ses bas-fonds inaudibles, alors même
que la forêt est le sommet de l’expression.
Des racines à la cime un monumental effort d’extraction des substances.
Tout en bas où nous sommes la lie recycle tous les possibles
que les ronces préservent de leur austérité violette.

Oh, c’est sans férir

Oh, c’est sans férir ! Passée la ligne flottante du ruché,
j’entre dans la forêt. Ici pas d’irréparable,
on accepte tous les coups : fûts en tous sens confrontés
les uns aux autres trament l’espace dense.
La forêt qui semblait plan s’avère perspective
 
intrinsèque. Cette perspective contrariée
ne requiert pas de mot : aucun schibboleth
car nul ne passe avec sa parole, mais c’est avec son corps
ployé, éprouvé au flanc et à la face,
désarmé, lamentable. À corps perdu ou le corps regagné.

Peur ?

Peur ? Ma propension à la perplexité
me rend flexible, j’arbore l’esprit flou avec bravoure
au front sourcilleux de la forêt, et à la face de cet
obscur mystère de rigueur et d’endurance
tu veux dire de persévérance ?
 
Je fais face verticalement.
Je veux dire une forteresse inclémente
et tout à la fois miséricordieuse s’érige là, en odeur de sainteté
- humus et sève - le havre imprenable
qu’il me faut à chaque fois conquérir.

Gamme

Gamme en demi-tons et derrière elle l’heure n’est
pas à la guerre mais à la forge, mais aux prédispositions à
- où en viens-tu ? Aux préparatifs de feux la lisière se prête,
prête à éclore, l’artificier s’exécute, la forêt, j’en ai peur 
j’y viens et je festonne.

Des aimants

Des aimants colorés disposés
en ligne régulière, un dégradé de bleus et verts
et jusqu’au mauve juste devant le front noir
de la forêt, cette butée, aimantent le corps tout entier
qui accepte par là d’aller vers son excès.

(Pas plutôt mutiques ?)

(Pas plutôt mutiques ?). À l’hivernage :
de multiples recluses sous le lest
dont la douce modulation des faces
fait une gamme pour malentendant.
Ce jeu d’enfant par-dessus mon épaule.

Et m’étonne.

Et m’étonne. J’écoute tonner la terre,
atteinte par l’arme - la hache, la même - qui brise en nous,
j’écoute ses tonnerres et ses débâcles, les râles, les frottements
de la fermentation, les contorsions et les bouillons de la germination :
en quelque sorte, l’expression du vivant
 
- la puissance est dans la durée - la sombre intelligence
(je dis sombre, car la fin m’est incompréhensible, alors 
reste le procès dont l’examen dure une vie).
Je dis sombre car la nuit tombe.
À la lisière du champ les ruches sont muettes.

Un coup d’épée dans l’eau

Un coup d’épée dans l’eau la danse assassine,
(quelque chose pourtant l’innocente puisque le mouvement
vient d’ailleurs, de derrière - loin derrière, au-delà du visage,
des nuages ou des voiles ? S’empalent ? -
c’est probablement à la surface l’eau qui respire)
 
la risée - ça n’est pourtant pas si drôle -. L’eau s’agite entre les glaives,
au fond remue l’amas de feuilles glauques
quinefontplusqu’une - c’est sans césure - un corps à l’usure, que la mort
nourrit, bave une écume brève et ça glousse, ça moutonne au coude
à coude avec la glèbe. Tu dis ? Pour entendre tonner.

Et puis le visage

Et puis le visage se troublant dans la lumière (faux mouvement, faux raccord, 
subtile danse des épées, des révélations fugaces).
On ne connaît pas la signification de cette image (de ces mots) :
mais la satisfaction découle de l’exploration du contexte
et des strates de possibilités d’interprétation qu’elle/ils présente/nt.
 
Tu dis ?
Pour entendre.

Pâle Sébastien

Pâle Sébastien, c’est encore toi cette eau,
les nuages passagers, la dure matière de l’étain
noir des noues ? La dure matière du monde, et
la forge où tu t’escrimes, l’enclume où vient pauser
ta fragile, labile image.

Tu t’exposes

Tu t’exposes à filer l’eau comme un objet !
- un miroir par exemple, ou un bouclier -,
sa résistance hérissée de javelots
- ou des fleurets - s’incorpore ton image altérable.
À quoi pensais-tu, la maintenant ainsi dans les nuages ?

Au lieu précis

Au lieu précis du transfert,
passagèrement fleurs ou flocons
d’une blancheur allégée par le tain
brandi en bouclier. D’étranges angons
pointent depuis l’envers.
 
Après l'accommodation, on rend compte
de frêles épées ou plutôt des fleurets -
mais non mouchetés - qui d’un coup 
perforent la flaque de ciel étamée.
Qui peut encore faire face ?

Qu’est-ce qu’on a ?

Qu’est-ce qu’on a ? La voiture garée
au bas-côté, elle échancre un peu l’herbe,
nous, longeant le talus bourbeux,
nos premiers pas sur le pré de janvier
puis de l’autre côté de la voie, dans le champ noueux.
 
Ici les corbeaux dictent l’essor
depuis les îlots d’éteules. L’eau
plisse le reflet de cirrocumulus qui l’enorgueillissent,
ou c’est moi, l’œil flatté par ces fleurs de coton
plus petites que mon petit doigt, et qui m’anime.

Herbe

Herbe impavide, c’en est déconcertant :
brin à brin plus tenue dans l’effort
que toi, avec ton solipsisme détaché.
Conjuguée pour le pré, elle se prépare
au départ que tu redoutes tant.

À la minutie

À la minutie l’horizon s’expose
et tout progresse vitesse grand V.
L’hyperbole de l’herbe, tu poses le pied dessus
incidemment (mais consciemment) :
c'est une atteinte sans lendemain.

Ce qui change

Ce qui change ça n’est ni l’aube
ni la nouvelle année, mais l’herbe
qui maintenant diverge.
L’ horizon applique sa courbe
aux bois sourcilleux.

Le sol fuit

Le sol fuit avec l’eau qui bouleverse les lignes sans tarir,
brouille les pistes, éboule les pensées échafaudées
dans les arbres. Les chablis font un renversement
de valeurs : tu découvres les dessous de l’affaire
au détour du chemin. La boue les recouvre comme lave, les éternise.