J’élargis le périmètre.

 

J’élargis le périmètre.

Cinq, six kilomètres. À vol d’oiseau deux.

(Difficile pratique du vol d’oiseau

mais quand même.)

 

La forêt incommensurable, tout comme le manque.

 

J’impose à tous une équation irrésolue.

L’énigme de son regard perdu.

 

Qu’est-ce qui est aussi vide et encombrant que cette version de l’absence

qu’est la disparition ?

 

Quand je prends la précaution

 

Quand je prends la précaution de ne rien déranger

(mes pas sur la pointe)

ces trois brocards, grand’erre dans les ronciers, brisent ma réserve.

 

Ils m’ont vu

(intruse bien avant que je ne les vois)

 

ma présence incongrûment explétive dans cette forêt 

où je cherche à résoudre l’énigme, sans savoir où je cherche.

 

Les prunelliers la gardent.

L’énigme préservée, la quête est préservée.

(Ce n’est pas un jeu d’esprit et ma sagacité s’émousse en forêt.)

 

Voici ma chasse gardée à jamais : j’aurai toujours un chat manquant en tête.

 

Vuj-‘yh-

 

Vuj-‘yh- (facétie claviéristique, chatterie incongrue : en vérifier la grammaire

c’est ce que me suggère le correcteur à l’instant)

 

Ce manque répétitif m’appauvrit. Me lèse.

L’esprit lésé dans l’encéphale en attendant. Quoi ?

 

Dans la forêt je divague,

désorientée.

Bois chablis entrecroisé, souches massives,

cratères, ce que je cherche ?

 

Ronciers, prunelliers (épines noires) acérés

(la Belle-au-bois dort peut-être à l’arrière)

dont j’essaie de passer la barrière :

trois brocards fuient dans mes enjambées prudentes.

 

C’est l’écho qui réalise

 

C’est l’écho qui réalise dans la nuit

le point de mire.

 

C’est le bruit dans la couronne invisible

- un craquement d’os

sec et sonore lorsque j’ai foulé l’un des cors du pommier tombés au sol -

son cri remonte jusqu’aux branches

croise le halo descendant de la torche.

 

Où donner des yeux ? De la tête ?

 

Mais c’est une image spectrale

 

Mais c’est une image spectrale qui une fois encore perdure

dans mon encéphale éprouvé,

obstiné.

Mon obsession m’impose sa présence incoerciblement.

 

Dans un vieux pommier elle place la cible que je veux,

en vue de laquelle j’affûte ma parole. J’appelle.

 

Des figures excentriques

 

Des figures excentriques de pommiers

à la posture desquelles je prends part, encore,

courbée vers les degrés de l’échelle qui serpente

à travers la couronne exaltée, se perd

dans une profondeur telle qu’aucune torche ne l’atteint,

une profondeur où danse aussi, évanescente,

l’image du chat espéré.

 

silhouette inquiète

 

silhouette inquiète passée

par les barbelés en premier lieu

puis par ces marées hirsutes

au fond d’un verger chorégraphique

mariant linéarité et chahut.

 

Cette défection

 

Cette défection, cette absence qui dure 

cause l’inflammation, l’hyperémie cérébrale

et viscérale qui maintient ma pression.

J’insiste. L’œil injecté colore la cause :

je visualise des ronciers comme des océans malmenés

violets rougis sous les taillis réversibles. Je m’y vois

 

De ma volonté, rien.

 

De ma volonté, rien. De ma dignité ?

Rampante rétine par le halo subjuguée,

par la fin, qui est de voir l’invisible,

par l’indéchiffrable hallier, par les armes de l’obstruction

- soir enchevêtré - réduite à sujétion.

 

Nyctalope de l’humeur noire, endolorie.


avec des égards pour l’ombre

 

avec des égards pour l’ombre

l’extension de mon œil - la lampe

projetée vers le bruit - jeté à perte

de vue le halo troue le buisson.

J’égare jusqu’à la lumière.

 

(je n’éclaire bientôt que l’absence,

et surtout sa répétition)

 

qu’est-ce qui réside dans ma volonté ?

 

Erres forcées (jusqu’à rompre)

 

Erres forcées (jusqu’à rompre)

aires vaines (mises à jour)

 

mon errance va de mise avec mon amour

sans même l’idée de clairière où

chercher cet amour

j’égare jusqu’à la lisière

je la soumets dans mes pas, à mes pas,

chaque pas un vœu : chercher.

 

avec des égards pour l’ombre

 

Pluie lourde.

 

Pluie lourde. Je deviens hallier

                                      - fol hallier -

à scruter rampant

cherchant le sentier

aggravé d’arches surbaissées

 

à exacerber le poème        buissonnant

sa capacité de recel

 

(n’est-il pas failli quelque part ? Perséphone !)

 

Lever le poème sans le lièvre (ici le chat).

 

J’ai l’haleine mouillée

manches épaillées

bredouille mais lourde de pensées.

 

Parfois je désespère.

 

Parfois je désespère.

 

Puis

- maintenant cette sensation de perte, la

plaie de chair et de mots,

expansive sur ses bords, intempérante  

(d’un bord à l’autre du pré) -

 

je cherche la main tendue vers lui.

Lumière brandie.

 

L’espoir est ma dépendance - ad diction

(la prétendue prétendument dite à)

cette quête -. J’espère un revirement,

un avivement des bords.

Je ne sèche pas.

 

Je confonds les distances.

Je voue ma langue au chat.

 

J’affûte mes perspectives

 

J’affûte mes perspectives, diamétralement opposables :

le pas ne pas.

 

Un rien m’agite, hautes erres dans lesquelles je poursuis

des portées ancestrales, des couvées,

des chemins de traverse.

 

À l’herbe cespiteuse

planifiée pour la multiplication des distances

le tallage,

la brûlure du gel assure l’unité,

mais moi je perds dépitée mon motif.

 

Une perte sèche. Avec la nuit j’attends sa paire

d’yeux inquisiteurs

sans présager sa défection.

Je le cherche dans cette sècheresse.

 

Je reviens sur mes pas.

 

Je reviens sur mes pas pour repères (et repartir).

 

Frayement des chimères à l’aplomb des buissons

 

Frayement des chimères à l’aplomb des buissons

que l’œil alerte prompt à

s’acérer, perçant, perce

outrepassant, passe.

Non, non.

L’ombre vient des halliers. On cherche des yeux la nuit.

Un son nouveau

 

(la réponse à nos appels)

(notre désir de réponse, notre leurre)

leurre les tympans

avilis par trop de crédulité, d’espoir

- vils mais vifs, aigus -.

J’entends les vers, les fanes, les fils de fer

des clôtures, la voie frayée du pré.

 

Le même récit de disparition

 

Le même récit de disparition. Ici

le pré obnubilé par la quête,

chimères bien visibles dans l’air,

mon application vespérale dans l’espoir de son retour

(chat) sans prémonition (ou avec)

l’évanescence des bois dans la forme-soir,

la perte tautologique de la vision.

 

dans la liaison des airs :

 

dans la liaison des airs :

à ras de terre l’écoulement des filets d’air

laminaires,

au-dessus la masse de cristaux de glace mêlée d’aérosols.

 

Un froid soleil concrétise l’atmosphère qui le contre.

Tout est si visible de loin.

 

Laisses comme les filets d’air

qui réitèrent le récit, le même,

 

                                                 de ruine en ruine

 

(de ruines secrètes en possibles retrouvailles

si on cherche)

faisant communiquer les halliers givrés

la forêt

la cavale du chat

 

en écharpe dans l’air.

 

Le voici le but sans fin

 

Le voici le but sans fin, le présent continu : chercher le chat (non le chas)

 

pré borné par le ciel d’un côté

la forêt de l’autre, son flanc sombre avant la nuit

 

dévers dont j’admire la solution

et encore, que la pioche des questions n’entame pas

ou guère,

que la pioche travaille sans induire de rupture 

(solution de continuité)

terre interminable

interminablement à former

arpenter

 

cette pioche plutôt à ponctuer - un accent -

à mener délicatement

dans la liaison des mottes

qu’habitent tous les oiseaux

 

Une réalisation

 

Une réalisation dont la modicité est acceptée

- à l’image de ces motifs ses mobiles -

(il n’y a pas de grandes choses)

mais devrais-je dire modestie ? Allez va !

Va pour ce rien -, mais un rien qui annule le reste.*

Car seul ce présent est encore possible.

                                                     (sinon chercher son chat)

 

*André du Bouchet, Carnets 1952-1956, Plon, 1989, page 61

 

et jusqu’à moi,

 

et jusqu’à moi, ici, partie de ce monde-ci

(minuscule et grandie par sa capacité

de variation, sa capacité de combinaison

des inépuisables états de la matière),

partie amenée à composer le monde en se composant :

 

collée à la terre, élevée par la terre

 

ainsi par ces itérations et ces variations

éprouvées dans les moindres détails et en tous temps,

ainsi par l’épreuve du poème

se forme un monde réel et vivant.

C’est une réalisation.

 

Indécelable symétrie

 

Indécelable symétrie à l’œil nu

(indécelée mais connue)

tout le contraire de l’effet 

- pourtant déployant un luxe très circonstanciel -

cisèle jusqu’à la fane


Il n’y a pas de petite chose

 

Il n’y a pas de petite chose

le givre géométrise l’attente, la rigueur

autant que le capitule

formules infinitésimales

qu’il soumet au vent dans un effort de visibilité.

 

Suivant la prescription

 

Suivant la prescription je retourne à la fleur :

elle resplendit encore simplement

refusant de capituler.

J’attends parmi les pierres, je suis pierre,

je progresse espérant me confondre.

Au-dessus de moi je suis l’achillée courbe

dans la réverbération de la lumière

atteignant les ramifications des particules

de glace cristallisées.

 

Voici les merles

 

Voici les merles

leur phrase imperceptible dans le silence

une poussée d’amertume

un défi de bouquet

 

voici les jeunes poètes

leur perspicacité assone

sur la mer gelée

leur vie - et la nôtre - rejaillit.

 

l’écrivant trouvent la force

 

l’écrivant trouvent la force

de ne pas (ne pas trop)

donner dans l’inarticulé

(l’inarticurlé devrais-je dire)

élaborent leur alphabet

 

vert immature

sur aigre cire, certes

et à la mesure de leur tablettes

mais alors ?

versifient l’âcreté comme elles peuvent

 

la perplexité enjambant hop !

(le pivot restant l’œil magistral qui contemple l’anxiété

qui contemple l’amour)

 

et resplendissent du désordre ainsi

orchestré

orfèvres diadémées de cris et d’éclairs

poinçons terribles désirés autant que redoutés