Chant d'éoliennes - petits enclos ombrés

 

petits enclos ombrés entre les haies

sous la lumière orange des lampadaires

 

où les nains côtoient des daines tachetées

avec leurs faons

 

et des moulins assujettis

qui n'ont jamais rien à déclarer

 

Chant d'éoliennes - Tragique et grandiloquente

 

Tragique et grandiloquente,

(trop pour la face livide et sans contour

à peine soutenue par l’implantation du poignet

dans la mandibule).

Les nuages nous précèdent

et écharpent ce reflet qui passe

de floches pâles

 

pâles voiles matinales sur

des jardins latents

semés de fausses statues

 

Chant d'éoliennes - alors qu’accoudée

 

alors qu’accoudée

à la tablette

je dévisage les parcs éoliens

de l’Aube

qui font à mon reflet la chevelure

tragique d’une Gorgone.

 

Chant d'éoliennes - que le TER

 

que le TER

fraye

dans un bruit de fers

(mais sans férir, lames parallèles,

rails, éclats pourtant)

un bruit d’enfer

 

Chant d'éoliennes - Comme en plein jour

 
Comme en plein jour

avec une sorte de déloyauté

envers ces terres

(ainsi qu’envers nous-mêmes

nos propres ténèbres éblouies,

comme éblouie l’alcôve et ses inspirations)

 

Chant d'éoliennes - (si loin de cette forêt

 

(si loin de cette forêt d’images statiques

et menaçantes

ou

furibondes et menaçantes

 

plantée en terres obscures).

 

Chant d'éoliennes - Avisé se croit-il (l'esprit)

 

Avisé se croit-il (l'esprit)

mais emporté par sa propre cause (avec) :

malgré lui bras qui remuent

un air vicié

paroles viciées, altières

 

bien loin de la sylve

 

Chant d'éoliennes - L’épure

 

L’épure

- le projet qui nous dépasse,

tout un système intégrant l’arbre que nous connaissons

(et jusqu’à la forêt)

d’un seul tenant cette armure,

opposable à la nuit - pire encore - menace

de dévorer nos ténèbres.

 

Les vents ne cherchent rien. Nous

nous aurons bientôt trouvé

comment mettre à contribution

- si honnêtement - leur souffle progressif

mais versatile

à des encablures

(l’esprit en est tout éclairé).

 

Chant d'éoliennes - traversent notre vie

 

traversent notre vie, à vive allure

est-ce une épure ?

(les grandes lignes

que rien n’arrête*

d’une projection plus globale

qui n’aura pas raison des vents

mais de la nuit, oui)

 

*Dis-moi, traceur d’épures désertiques,
Géomètre des sables mouvants
Si les lignes que rien n’arrête
Ont raison des souffles du vent.

Ossip Mandelstam, novembre 1933, Simple promesse, La Dogana

 

Chant d'éoliennes - très vite les pylônes

 

très vite les pylônes

(comme les forêts jadis) s’avancent

traversent la voie

traçant la perpendiculaire

- un horizon -

à notre inéluctable

 

Chant d'éoliennes - Le train son allure

 

Le train son allure force l’horizontalité

et la durée - l’étendue en profondeur du paysage -

 

Là les éoliennes, ces sabres

(ces faux)

ont repris de l’activité

et dispersent des loques

 

tout un parc s’agite

qu’il ne sert pas d’énumérer

en une sorte de danse macabre


Chant d'éoliennes - discrètes

 

discrètes (sans accord avec le silence

des éoliennes).

Étincelle

leur mutité

hagarde

au levé du soleil

leur discrétion l’emporte

 

innombrablement

sous la fixité.

 

Chant d'éoliennes - un silence blanc

 

un silence blanc

réverbère sur l’étoffe

du paysage, sa fixité

inquiète

les sillons

ébranle

les pierres

 

Chant d'éoliennes - au loin aiguilles

 

au loin aiguilles

sur le ciel blanc

et liquide

(c’est la batiste manquante ?

 

elle flotte elle aussi

pourtant épinglée)

 

Chant d'éoliennes - Oiseaux matelassiers

 

Oiseaux matelassiers

à la reliure de terres fraîchement terre

à la reliure

sillon

noue

sillon

noue sillon sillon sillon

 

nous (notre train notre allure) sillons,

flottant sur leurs reliefs

 

des pierres ou des mèches

à bouter

parsèment le brun profond

 

Chant d'éoliennes - Vivons flânons tremblons

 

Vivons flânons tremblons

l'armée des géantes nous garde de la nuit.

La forêt des géantes chauffe la nuit épouvantée.

 

Aube, petits arbres au long des routes

et volées d'oiseaux (merles irréductibles,

corbeaux perspicaces, lanciers

de Lug, artisans de l'aube)

en conjectures perdues, hasardeuses,

mais portant liaisons d'évènements concomitants

et transitoires.

 

Chant d'éoliennes - Pour toujours elles l'ont prise

 

Pour toujours elles l'ont prise

- comme désamorcées -

la pose dans l'air calme :

(alors ce sont de sommaires tours d'ivoire,

sommaires et statiques

sous l'égide desquelles nous flânons)

- ou désaccordées de tout -

(quand vents survoltés)

elles sabrent sans trancher

en guerrières inflexibles.

Le bruit de la charge est terrible.

 

Chant d'éoliennes - il faut croire que l'aimant

 

il faut croire que l'aimant l'aime (lui sans n)

animant la constance

ré animant le flux continu (pas d'état d'âme).

 

Comment ça marche ?

Les pylônes : une colonne

de fantassins grande erre

assure la continuité de port.

 

Mais ce sont les géantes impassibles

qui en imposent.

 

Chant d'éoliennes - Mais le vent dans l’arbre ?

 

Mais le vent dans l’arbre ?

 

Le vent produit la rotation des pales.

 

Le vent dans la turbine - avec assiduité

et précision

elle convertit l’inconstance du vent -

l’intermittence de son énergie cinétique - en énergie électrique continue

 

(grâce et précision d’une turbine aurait dit W.C.W)

 

l’alternateur c’est l’aimant

par l’aimant la permanence est assurée

 

Chant d'éoliennes - l’énergie cinétique du vent

 

l’énergie cinétique du vent

transformée en énergie mécanique

puis électrique, via l’alternateur.

 

Oui

 

(la rotation de l’axe - l’arbre de la situation -

entraînant le rotor - l’aimant cylindrique -)

 

d’accord.

 

Chant d'éoliennes - amplement c’est votre parade

 

amplement c’est votre parade

qui semble assurer paix et sérénité

 

par la stature de ciment et d’acier

de carbone et de fibre de verre

- des colosses de fermeté -

 

l’inconstance convertie

- au prix d’affolantes effigies -

en permanence

 

Chant d'éoliennes - mais vos pales fendent le vent

 

mais vos pales fendent le vent

sans l'écluser

 

en silence

vos lames

palissent le ciel

 

un verger froid et sans fruit profile

le paysage

pas totalement infertile

 

Chant d'éoliennes - tout n'est pas domesticable

 

tout n'est pas domesticable

sauf par vous éoliennes

vent debout au champ d'écarts

qui chorégraphiez la plaine

 

Lares familiers en quelque sorte

 

un colosse tutélaire veille sur chacun

 

Chant d'éoliennes - Dans l'ordonnancement des parallélogrammes

 

Dans l'ordonnancement des parallélogrammes

- vaste platitude expansée expansive

des bruns piqués de merles, bissectés de vertes corvées -

 

des pylônes font des arbres très corrects,

elles aussi

 

sur ce front seulement les éoliennes

bombent le torse

 

face à

la bravoure des vents

 

Je dormirai

 

Je dormirai - de ce point de vue-là -

tout une morte saison

qui n'a rien à voir avec la mort

mais avec l'introspection, voire l'intro-spéculation

du rêve.

 

J’essaie simplement de dormir.

 

- J’essaie simplement de dormir.

Mais l’herbe m’assaille, la parole remontante

gravit la nuit exhaussée par degrés insensibles

- une broussaille herbacée

et semi-ligneuse boucle dans le sas -

 

le verbe - verte geste d’une journée

 

le verbe - verte geste d’une journée

passée à réduire

(sans la résoudre) la force brute,

la vie débordante,

et l’assertion de sa capacité à tout couvrir,

à propager -

le porte en son flux.