mais qui fait l’Ulysse téméraire

 

mais qui fait l’Ulysse téméraire pendant que je détisse

méticuleuse, face au vent du nord ? Qui

éprouve ma patience ?

Des choses prudentes éprouvent la confiance

 

confiantes dans mon approbation, cherchant

l’agrément de ma main,

éburnéenne quelquefois implacable qui d’un pincement

ou d’une torsion brève défait ce qui s’ourdit

 

- la violette le sait -, le déplore-t-elle ? qui progresse

ligote instinctive folle

par marcottage, et comme rebrodée la trame

déjà puissamment souveraine s’étoffe.

 

Ma main froide sur ce bâillon, panse et panse

le substrat

ravaudant la coïncidence plutôt que l’évident

dessèchement du raccourci.

 

La même avancée

 

La même avancée que l’étoffe sur le métier,

s’enroulant sur l’ensouple arrière

et les coups de peigne chaque fois comme une assertion,

tassent la trame.

 

L’ouvrage. La progression de l’ouvrage.

Revoilà le cheval de Troie dans le langage avancé

par le bois de cornouiller, ce fuselier

qui percute et perce l’empirisme débonnaire

 

si sains, si droits et denses ces cornouillers

 

si sains, si droits et denses ces cornouillers

dont je serais bien l’épigone inlassable* moi aussi,

j’apprends que c’est de ce bois pris sur le mont Ida

qu’est issu le cheval de Troie

 

de ce bois que sont issus flottes, hampes et bâtons pour la guerre et l’invasion.

Le bois sacré d’Apollon fournit Troyens et Grecs pour s’entretuer.

Avec la haie ils avancent en convoi armé,

la même lenteur sûre, inexorable.

 

*François Jacqmin, Les saisons, "Au début de chaque printemps, / j'oublie le nom du cornouiller.", espace nord poésie, Communauté française de Belgique, 2016, p.17
 
 

Elle est mon privilège

 

Elle est mon privilège et ma charge.

Me voici face à la raison du plus vivant, du plus robuste

- violette lierre ronce -

sans autre issue que d’orchestrer la vitalité.

 

Gouverner. (Mais c’est mon malheur, non mon privilège,

alors que jamais je n’ai pu trancher - sans état d’âme je veux dire -

mieux douée sans doute pour bayer aux corneilles

ou pour vaquer sous les cornouillers

 

Ce ne serait pas, avec la déférence / de l’hommage,

 

Ce ne serait pas, avec la déférence

de l’hommage, le profil révérencieux (rampant)

et l’offrande,

la progression d’une avant-garde pour forcer l’espace ?

 

Sauf que la violette ne peut être l’expédient

d’une nature animisée, chargée d’intentions.

La lutte est âpre pour l’espace au jardin

où je m’octroie, moi, va savoir comment, la prépotence.

 

Puis lierre ou ronces bleues

 

Puis lierre ou ronces bleues c’est selon.

Leurs arches plus tard si vigoureuses commencent en

minuscule bouquet rouge violacé

tirant sur le brun, dissimulé dans l’ombre cordée

 

je dirais là, sur ses talons (vifs éperonnés)

son giron innocent, délicat sans confession mais

(se tenir sur ses gardes !)

ça ne serait pas la ruse du cheval à Troie, ça ?

 

Tout va-t-il croître

 

Tout va-t-il croître ainsi

jusqu’où et jusqu’à quand ?

Tout ne fait pas un jardin, il y a des chances

qu’une seule espèce tire son épingle : violette,

 

c’est tout d’abord le détachement de sûreté rapprochée

propulsé devant la troupe en marche,

pour la couvrir et faciliter son engagement :

violette, à l’avant-garde !

 

Il s’excentre

 

Il s’excentre, pourtant mémorable en cela,

il s’exorbite.

Au surplus il joue son va tout

hasardant sa survie même, sa survie de concert.

 

Ce concert vivace.

 

Ce concert vivace. Précisément

ce que chaque printemps je réinvente,

comme amnésique. Il tient parole,

la plupart du temps.

 

Qui honorera de sa présence, quoi ?

 

Qui honorera de sa présence, quoi ?

le retour (quelque idée - fallacieuse -

sur la loyauté)

quelle désaffection signifiera le raté de l’ensemble

 

car tout se tient,

violette tout l’hiver ourdit un complot

mine de rien, elle trame la conjuration du printemps

cet entrain concerté, et en ordre de bataille.

 

aucune prière

 

aucune prière - aucune consolation -

on voit ce qui arrive et on verra bien

prêts à manquer de tout

- mais rien qui ne soit vraiment irréductible à tout autre


c’est l’art de la violette, cette humilité,

cette malléabilité -

ici aussi on apprend à attendre

un retour de probabilités.

 

je défais le réseau des fibrilles je défais le temps

 

je défais le réseau des fibrilles je défais le temps

son ouvrage patiemment tissé

d’épouse confiante se défile par endroits

mes doigts dévident un rosaire d’une autre sorte

 

comme je m’en vais prescrire

 

[et attisent la houe] 

 

comme je m’en vais prescrire

les distances vitales, violette m’emploie

à la défribrillation des langues

 

formule l’entrain de façon variée

 

[chacun récapitule son désir]

 

formule l’entrain de façon variée

- hypogée/épigée mais mesurée,

même la violette dont les colonies insoupçonnables

sont révélées un matin dans la lumière oblique 

 

et attisent la houe

 

l’alacrité est son langage.

 
[elle épouse la saison dilatoire]

 

l’alacrité est son langage. Quand je regarde l’hiver

se diluer - à peine à peine - dans la clarté neuve

quand je regarde :

chacun récapitule son désir

 

Précisément ce que fait la violette

 

[Puis : agis en mésange, incorpore

la matière évasive !]


Précisément ce que fait la violette

prenant le champ, à bras le corps

l’herbe encore brève

elle épouse la saison dilatoire

 

Car je m’ai (seule) en mon gouvernement.

 

Car je m’ai (seule) en mon gouvernement.

D’ailleurs je te parle seule de mon monde dont

j’ai à cœur de gouverner la langue, de prendre en compte les hésitations,

les revirements, les jeux ;

 

la probabilité de le maintenir

à ce point crucial de bascule

ce point

ne fait pas de doute : pourtant j’y vaque

 

suivant les dérivations hivernales

l’aggravation du poème

l’induction des violettes

la persistance malgré tout de l’heuchère.)

 

un seul mot d’ordre : sois vive,

                                                   ne saisis rien !

Puis : agis en mésange, incorpore

la matière évasive !

 

(si je pouvais moi aussi atteindre ce naturel

 

(si je pouvais moi aussi atteindre ce naturel

cette clarté même lorsqu’elle semble dissonante.

Comme je voudrais évider ma pensée, l’alléger de son sens, de sa visée,

pour ne connaître que la sensation et l’impulsion !

 

me libérer de la signification pour atteindre le mobile

le point d’équilibre

- le degré O ou l’humilité -

apparaître X s’effacer)

 

(toute bonne intention, étant une ingérence

dans la force des choses,

finit par défigurer le monde.

L’économie soit cette quête d’équilibre.

 

me voici, inventant des espaces

 

[me voici solidaire par le fait]

 

me voici, inventant des espaces

- des abstentions salutaires -

pour le bien commun. Apprenez l’ardeur et la pudeur

 

la pondération, soufflé-je aux deux parties !

Apprenez l’économie ! (et c’est à un moi médiateur

que s’adresse le mot aussi, mais j’entends la mésange qui

m’ironise de son naturel : on le savait déjà !)

 

Mon intention

 

Mon intention étant de convenir d’un accord avec elle.

De mener d’honnêtes négociations,

pas beaucoup plus secrètes que ma phrase : fait pour fait,

je propose de transférer un peu de son énergie

 

au poème, contre un soupçon de mes perplexités à la violette.

Ne serait-ce qu’une seconde d’hésitation, de circonspection,

permettrait à l’heuchère, la douce, de croître. 

Discrétion assurée à chacune, et un poème survit à son jeu.

 

(et un poème trouve son issue - non sa conclusion -

trouve sa force vive et son efficience

sa cause suffisamment puissante pour produire son effet,

ce fait)

 

me voici solidaire par le fait

 

Sol ferré.

 

[une armure invisible,

ancrée sur et sous - dont nul

 

ne peut se prémunir.]

 

Sol ferré.

La violette exerce l’emprise.

Comme sous le filet forgé de Vulcain

 

Mars et Aphrodite sont pris en flagrant délit.

Comme le maître de l’éclat lumineux

elle s’arroge la reprise et la beauté ?

Mais j’aurai mon mot à dire.

 

mais - regardons les choses en face -

 

mais - regardons les choses en face -

en bonne terre de jardin c’est une expansionniste mesurée

(presque réservée, si petite et si délicate)

- qui minimise son aptitude à tout couvrir,

 

stolons redoutables formant un réticule

de mailles inviolables,

une armure invisible,

ancrée sur et sous - dont nul

 

ne peut se prémunir.

 

posée sur une virgule,

 

[... et prise au dépourvu,

comme une minuscule oie en papier plié]

 

posée sur une virgule,

prête à se déployer, se propulser

en étendard primesautier

- à court de stratégie, dirait-on -

 

cependant véhémente

odorante

toujours avenante

auréolée de primeur