dimanche 31 mai 2020

Reprendre ( 2016 ) - 17



D'un peu de temps 23


Au bout du jardin, personne ne vient, non.


Au bout du jardin, personne ne vient, non.

D’ici je vois seulement le cognassier bleui
qui palisse la nuit d’un treillis négatif,
pâle sur fond noir, face illunée face aux sapins,
et la fine clôture du fond, le maillage lâche
du fil de fer, luisant entre les piquets d’acacia gris.

Pas si bête je regarde le doigt qui fait danser la lumière,
la claie des doigts dansants plutôt que la lune, plutôt
que la clôture. Sans languir je sinue dans la nuit.

C’est à moi que je demande à quoi je pensais avant.
Avant d’écrire je vivais hors pensée car je n’avais encore côtoyé aucune fin.
C’est que je vivais, principalement s’entend.
Cet avant dura cent ans ( moins que le temps de le dire où est-ce une idée )
- et tu es venu me chercher -. Depuis tout le jour je t’attends.

samedi 30 mai 2020

Reprendre ( 2016 ) - 16




D'un peu de temps 22


L'impact de vos fleurs rouges


L’impact de vos fleurs rouges
sur les verts dégradés
fit l’effet d’une salve.

Tout est calme à présent,
le vent est tombé.
J’ai lu Les poèmes d’amour de Marichiko
dans la nuit, n’ignorant pas les pavots,

la lourde éclosion en suspens
( maintenant que je suis un objectif défilé )
toute chose rendue incandescente,
d'une artillerie d’obusiers à l’affût sous les feuillages.

Je crois que j’entends les grillons ici aussi
dire nous rapiéçons les vieux habits
exactement comme des camelots. Au bout du jardin
c’est seulement la lune qui bouge dans les sapins.

jeudi 28 mai 2020

Reprendre ( 2016 ) - 14









D'un peu de temps 20


Me suis-je retirée avec une fleur


Me suis-je retirée avec une fleur,
ou 
ai-je préféré m’enfermer avec un passereau ?

Dans cette force occulte de printemps - engendrement et mort
d’un même puissant mouvement -
souvent je nous ai reconnus, humains  

comme je reconnais la passagère image
véloce sur les graviers.

Il s’agit donc de soupeser le volume
d’explorer l’ère de l’instant
- lequel sans cet effort est d’une inanité ! -

et sans se laisser distraire
relier les ombres avec des corps.

Demeurer au vent,
et dans le paysage.
Sans rien augurer de l’allégresse des naufrages.

mercredi 27 mai 2020

Reprendre ( 2016 ) - 13





D'un peu de temps 19


Plus haut l'intuition


Plus haut l’intuition de ses opposés. Soir empourpré,
versatile. La lumière changeante butine à chaque fleur.  
Un peu de ces caducités poudroie au pied, et quelle couleur
n’est pas, au plus près, aussi une odeur, une vibration 
d’une façon subtile, d’être et succulence et caducité ?

Clarté qui sort de cet intact instant-ci, inconnu encore,
du bégaiement,
quand s’affirme, rutilante, une victoire pourpre,
comme un miroir discord.

mardi 26 mai 2020

Reprendre ( 2016 ) - 12


D'un peu de temps 18


Je te parle seule


Je te parle seule de cette force
- pléthore régissant jusqu’à sa propre ruine -
par des métaphores passériformes et des couleurs
ou bien le bourdon de la pollinisation vibratile
- mais c’est sans savoir, le plus souvent, qui tu es -,

et c’est toujours sans savoir. Et alors ne demeurent
que les pensées issues de la sensation de cette force.

lundi 25 mai 2020

Reprendre ( 2016 ) - 11



D'un peu de temps 17


Car du jour vernaculaire


Car du jour vernaculaire : fleurs, ruche de midi, maladies,
herbe à faucher que sais-je - je ne sais plus -. La langue oublie
opaque sous tes pieds : où te crois-tu ? Ne mets pas les pieds
plus loin que les yeux ne te portent, dis, jusqu’où peux-tu voir ? Prends soin
de ton herbe. Je cherche la chatte marron qui a fait ses petits
et je vois que ce sont les rouges-queues noirs qui nichent ici :

soir versatile dans le courant même - coloré, odorant -
de puissantes saisons, régissant jusqu’à sa propre fin
- la nôtre -

dimanche 24 mai 2020

Reprendre ( 2016 ) - 10


D'un peu de temps 16


Et moi je suis une pierre


Et moi je suis une pierre qui accompagne le mouvement.
Bien sûr c’est une image - ça n’en est pas, c’est -
il y a un être rêvant qu’il est une pierre rêvant qu’elle est
une fleur dans la ruche, ou la chambre des vents, il s’agit de s’assurer
qu’il y a un rêve aussi dans la fleur. Moi-même plus obscure

entrant dans cette bouche obscure. Mais face à cette fleur
mieux contemplée que jamais, vécue aussi sensiblement
qu’imagée, je vais, et je n’ai pas peur sous l’égide de ce jeu.
Je joue avec des langues rubanées, du phrasé de l’orchis, suivant
- la nuit - l’autre face vécue, la séquence d’imagination, l’autre mesure.

samedi 23 mai 2020

Reprendre ( 2016 ) - 9

 




D'un peu de temps 15


C’est la préfiguration d’un orage


C’est la préfiguration d’un orage sans doute. Le vent
parcourt lentement, en courbes hyperboliques,
l’orchis bouc comme dans un vignoble vertical il simule
le déplacement d’une onde grise et claire en
différant sensiblement le frisson de la pluie.

Il en résulte l’illusion d’un mouvement perpétuel.
Mais comme la propagation de l’onde nécessite l’apport
continu d’une énergie extérieure, le vent sur le corps
vivant de l’orchis devenue source de mon image,
c’est lui que je regarde dans sa relation avec la bouche d’ombre.

vendredi 22 mai 2020

Reprendre ( 2016 ) - 8


D'un peu de temps 14


Debout avec le reste de mon souffle concret


Debout avec le reste de mon souffle concret,
pétrifié sur le chemin de la forêt, ce noir chemin,
je vois une précieuse égide en l’orchis bouc. J’en fais
une image. Je dis quel printemps c’est. Quel printemps !
Je fais une image, en pensant au lendemain, de cette Gorgo

aux langues effilées, bifides comme celle de serpents
par cent merveilleusement fardées, belles comme au
collier de soutien ( ici un collier de conduction ionique, collier pour tissu )
- amulettes j’y reviens - sont les pendillons.
Qui préside dans le corps perrin  -  le corps de la parole, j’ai dit -

à un transport de charge par déplacement d’ions
dans le réseau cristallin, sensibles et vaillants,
influx nerveux, pensé-je, sur le point d’être
dissoute. Je brandille comme au suspens de ces langues
obscures dans la fluence de quoi, des phrases ou du vent ?

jeudi 21 mai 2020

Reprendre ( 2016 ) - 7



D'un peu de temps 13


De tous côtés

De tous côtés apotropaïques jetés de langue, le labelle singulier
- mais pas trop -, et le pluriel emphatique nécessaire
à tenir l’haleine - vision et parole devenue pierre -,
exclamative boucle d’homologies et d’hyperboles.
Et moi comme Poliphile, quand je fus venu[e] devant [l’orchis],

médusée je montai par ses [langues] qui servaient de degrés
et j’entrai en sa bouche, suivant ce sentier. Où j’allai ?
Science du talus qui fait progresser, j’allai traversant
les lignes limoneuses mais avec la joie grande et la peine
reconverties. Suivant la vague apicale des corolles.

mercredi 20 mai 2020

Reprendre ( 2016 ) - 6



D'un peu de temps 12


mesure de ma pensée étroite


mesure de ma pensée étroite est ce phrasé
comme le pas vigilant par-dessus l’ornière noire
- on ne peut pas aller plus loin, enjamber c’est
joindre, et sans sombrer, l’autre côté

du chemin de corvée où raiponce attend
ses filets d’étamines susurrant mes émois -
ainsi passent les phylactères : ces paroles,
sont-ce des amulettes que l’on porte sur soi ?
Voici les banderoles brandies de cette autre enrubannée

au talus richement, et sourcilleuse avec ça, orchis
bouc, ou loroglosse, langue étroite, c’est son labelle en lanière
qui l’indique, d’un dit jaculatoire de lobes spiralés issus des têtes
vertes à la cadence empourprée, dis, pourquoi cries-tu,
Méduse terrestre, libérale et magnifique*, qu’est-ce qui t’alerte ?  

*Décaméron, 10ème jour, 3

mardi 19 mai 2020

Reprendre ( 2016 ) - 5


D'un peu de temps 11


en rien ne nous dispense


en rien ne nous dispense de chercher, nous, - qui nous sommes -
ce qui nous touche, le motif de nos pensées se donne
presque toujours en séquence imaginative rythmiquement respirable

ce qui se dit phrase, ou phrasé, ces îlots d’images en unités
signifiantes plus ou moins closes - fleurs - forment des motifs
rythmiques et des métriques, et des cadences.

Et tandis que je marche au devant de vous se fait voir - innombrable
écho -, la raiponce en épi, son écouvillon bleu pointé

dans la canule de mon souffle étroit