jeudi 30 avril 2020

Hivernales 112


Des choses si lointaines

Des choses si lointaines ( pourtant
une forêt entière emplit cette chambre inconnue
ou bien est-ce le hallier impénétrable qui dissimule le lit
dans lequel je dors ). Je dors pour cent ans. Cent ans sont révolus.
Les murs tanguent de tant d’adresse à mesurer l’espace et le temps.
Une couronne flotte au plafond, focale instable tissée d’entrelacs,
un réticule serré où je suis notre avancée. Tu es loin.
Si je savais conjurer le sort ou la distance, et conjuguer les objectifs.

mercredi 29 avril 2020

Hortus Conclusus in [appareil], cahier de la revue margelles - Bruno Guattari éditeur -



margelles, Cahiers [appareil] : des publications numériques portées par Bruno Guattari. Éditeur

Hivernales 111


À supposer que le printemps


À supposer que le printemps. Il est plus probable qu’une huître,
somme toute, à cet endroit précisément. Pourtant printemps,
avec toutes les apparences d’un bivalve à découvert
 - alors qu’une lame déjà remonte le talus -
tu nous arrives roulant tes hanches en splendide fatrassière.

Dont les perles roulent aussi. Comme un semis vient pointiller dru
pour un pourchas dans l’herbe de trèfle et de pâquerette. Vers
on ne sait quoi s’encourent les fourmis et les pyrrhocores
sans cesse en action. Tu nous enjoins d’observer
avec indolence et dilection le tremblé de l’herbe plein de coïncidences.

La forme violente du délice. Ce non-sens, et notre imprudence
sous l’arbre coiffé d’impatience à fleurir à verdir. N’écoutant
que nos têtes échevelées, détourant les ombres qui sont
les premiers dessins, nous détournons la lumière
résolus à retourner la gratitude, à inachever nos pensées de naissance.

mardi 28 avril 2020

Hivernales 110


Ce pommier aux fleurs candides


Ce pommier aux fleurs candides, ce ciel bleu. Jettent un peu
plus la consternation : alors quoi ! quelque chose s’enorgueillit
encore de vivre, quelque chose vit ?
La vigueur détonne. Nouaison approximative à côté,
quelque chose butine, roucoule, vrombit.

Sédition : l'émotion joint sans distance le choc de la pensée.
Je suis dans l’ombre diagonale à évaluer le frisson. Sans distance
je pince et je palpe. Le soleil très blanc durcit au sol les délinéations.
Graviers enorgueillis d’ombres franches. Déjà le feu
prend dans le plan. Il fomente la vie, sédition à l’intacte fervidité.

La différence se répand. Chaque chose prend son temps.
Des vagues candides ont d’abord submergé le jardin,
même si je ne désire pas l’interpréter. Je dédramatise le printemps 
moi aussi : rien d’inordonné alors qu’on ne peut tout prévoir, la vie,
la vie seule poursuit son feu et son changement, on n’a qu’à caler

sa respiration. Parfois il y a comme un souffle. De l’air.
Je ne suis pas l’obligée de la vie, je n’aurai donc pas la
( pas la moindre ) gratitude envers. Vous me direz temps, mystère,
contournement, distance. Mais de quoi vivrons-nous, si ce n’est
de pommes ? Et de fleurs, et d’ardeur circonstanciée ?

lundi 27 avril 2020

Hivernales 109


Je vais voir les fleurs.


Je vais voir les fleurs. Je ne les cueille pas je
ne cueille jamais, si ce n’est en pensée. Mais
que sont mes pensées ? Rien que je puisse dire
vraiment, qui ne soit dit déjà, c’est un flottement de neige
entre deux - je suis sous un pommier, je recueille

la neige fraîche, je la mange, c’est de la lumière,
c’est le sel du soir - c’est délicieux ou délictueux que sais-je 
j’essaie d’intimer un ordre à la pensée, mais non, bien au contraire
ça descend dans le corps, un soliloque, et me voici enracinée 
avec primevère - coucou ! -, renaissance sonore, le clou vernal au verger. 

De splendeur mais si délicate la force promotrice de la fleur
puissance et Éros affiliés à la couleur et au parfum, vertige parfois
du balancement, mon cœur ne balance pas lui, il plonge, il se noie
dans sa clarté, dans la clameur de cette source dédiée à l’amour à
la parole d’un seul vers un seul, trop de feuilles trépidantes déjà.

dimanche 26 avril 2020

Hivernales 108


L'espace n'est plus délinéé que par la courbe


L’espace n’est plus délinéé que par la courbe nette des faîtes
intraitables et de fleurs sourcilleuses poussant dans le bleu. C’est
l’exacte couleur qui est maintenant nos exacts confins,
de laquelle surgissent les véloces traites diagonales et bruyantes
qu’on dirait improvisées, mais quelle prédilection pour ta tête ?

Ces traversières - car elles traversent d’un trait la fente
étroite entre les arbres, crevant la couleur, la pesanteur,
comme un poignard une toile de tente, cette pesanteur - pour
un transfert urgent de fétu, ou de fascines, ou de plume. Et
tu es là et tu respires, et c’est toi soudain l’imprévu sur leur chemin.

D’un élément dans l’autre tu reconnais qu’elles font traite
des premières nécessités, promptes et efficaces, un transfert
d’air entre bassins pulmonés, proche, lointain, proche, lointain
pompant à la source de la vie, l’instinct d’ordre, ou le rite de nidification
exerce sur toi le même effet vivifiant et tu remets tes cheveux en place.

samedi 25 avril 2020

Hivernales 107



Les cercles meurtris, les veillées de silence désordonnés.


Les cercles meurtris, les veillées de silences désordonnés.
Tout est trop grand mais nous nous faisons à l’espace.
C’est le vide qui bientôt nous structure, et l’absence.
Et nous habitons ce silence avec la vivacité de notre imagination.
Il dit : La grâce, c’est la façon dont la vie tire / sa volonté

des ruines, de toute destruction, de la moindre / lézarde non obturée,
se ruant à l’intérieur comme si / elle n’avait que attendu cela, comme si
le meilleur usage des choses / c’était la brièveté, l’expédient.
Je pense en lisant non seulement à la gracile cymbalaire
dont les tiges filiformes forent le muret - l’expédient -,

et je pense à l’esprit qui se rue dans ce verger, comme s’il
avait faim de cette caducité, qui est ici tout le contraire de la vanité.
S’éblouit de sa propre audace et du soleil très blanc qui
lui mange - déprédation accomplie - la conscience de lui-même,
le rudoie, l’étourdit, l’oblitère dans un flot de lumière brève

l’esprit indocile est libre de n’être
rien, sans monde – de ne pas exister du tout.

vendredi 24 avril 2020

Hivernales 106


Avec un œil propice


Avec un œil propice, maintenant immobiles
dans le printemps radieux qui se mire.
Le je voudrait voir la psyché à la respiration légère,
mais l’autre, hilare d’être encore là, et en pied - à l’armistice -
inconvenant dénombre les narcisses et les lamiers.

Tout chancis, et fétides d’être froissés sont les lamiers.
Une mauvaise herbe serpente à nos pieds - des vies
sa raison déduite c’est qu’elle est la vulnéraire,
mauvaise d’être ignorée - et moi d’elle je me déduis
comme du jardin, tout simplement me promenant.

Ce doigt d’intelligence vulnéraire qu’elle a
elle en fait don aux imbéciles que nous sommes, suivant,  
pas si affranchis des distances et de l’attente.       
D’autres fleurs couronnent heureusement
un présent par les rues et les places étouffé. 

Les cercles meurtris, les veillées de silences ordonnés.

jeudi 23 avril 2020

Hivernales 105


Indocile par nature, voici le printemps.


Indocile par nature, voici le printemps. Le voici
prolifique emmuré - verrouillé - pourtant dans un corpus de lois
d’exception, les lois trop humaines de la rétention,
( c’est de l’air compressé / c’est de la psyché compressée* )
qui fait d’un jardin de lierre terrestre et de trèfle,

de cyclamen, pâquerettes, plantain, saponaires et narcisses,
fraisiers, violettes et jacinthes, qui fait de cet hortus un lieu clos.
Autour du verger, il n’y avait
Ni mur ni palissade, mais l’air seulement.
C’était de l’air qui de toutes parts

Formait la clôture du jardin.*
Par-dessus est un dôme fertile de cerisiers, de poiriers et pommiers.
Des vers qui sont des fleurs mêlées de mots surgissent
du milieu comme la fontaine scellée du Cantique
qui aujourd’hui nous paraît plus que jamais accessible.

C’est un massacre qui a l’air d’un massacre des volontés
et des ambitions. Le printemps seul s’en sort et celui
qui ne veut rien, rien tant que venir, et être simplement.
Il est vital que s’apprennent enfin de lui les comment,
les amiables comment, quelles fleurs à cueillir.
  
Aujourd’hui nous nous prescrivons à nous-mêmes
une Sainte Quarantaine ainsi que des noli me tangere opportuns
( à propos de Carême et à l’approche de la Résurrection ).
Sont-ils gestes et distances qui pourraient nous sauver
ou accommodements avec le mal subtil qui se propage de tous temps : oppression ?

Ce jeu ( j’entends immanquablement je )
dans d’autres perplexe et suffoqué :
c’est de l’air compressé
c’est de la psyché compressée,
on se vante de s’en servir.*


*Amelia Rosselli, Document, p.110
**Chrétien de Troyes, Erec et Enide

mercredi 22 avril 2020

Hivernales 104


Ce sont ces ombres attendues


Ce sont ces ombres attendues et qui se déportent
- au bord desquelles tu prends froid
t’essayant au poste de sentinelle - cargo de frai
rouillant, double conteneur pour l’unique
nombril de Vénus grelottant en plein nord.

L’équerre et le rectangle poussent leurs sommets
dans l’herbe différant jusqu’au tyrien beffroi
d’un magnolia de Soulange. Et moi je guette      
le signe ultime, le transport - matérialisé, vrai -
de ce printemps : l’ouverture des portes.

Toute cette joyeuseté, la clameur et
le floconnement des pollens au verger
- semble aussi invincible qu’il est immémorial -,
font un printemps. Mais ulcéré, intouchable
le corps débouté de la saison s’époumone en vain.

mardi 21 avril 2020

Hivernales 103


Lumière lancéolée

Lumière lancéolée - je ne veux pas dire trop vive,
sans le tamis fin des feuilles - une pointe de fraîcheur
et l’attente carénée d’ombres non moins orthogonales
et bien aiguisées, sur lesquelles se profilent, téméraires
funambules, de folles tourterelles turques en campagne.

Cinquante mille fois les mêmes choses, et j’ai beau dire,
il en reste toujours quelque chose à dire.

lundi 20 avril 2020

Hivernales 102


Je mets un genou sur le vert/tressaillement


Je mets un genou sur le vert
tressaillement du végétal : prudent
il explore l’air nouveau, il faillit
- dans l’étroite fente entre les pierres et la lumière -
puis il sombre avec grandeur vers le haut, crûment


Menues observations
dans le cercle improvisé d’une grive litorne
où la longue-vue nous propulse. Je ne distingue alors
que le rengorgement de son cou, l’effet
de sa préséance tenue sur l’herbe mouillée ?

dimanche 19 avril 2020

Hivernales 101


Car "l’amour est naissance".


Car l’amour est naissance. Toute cette danse
de pétales voilés/dévoilés de neige : farce surhumaine
- il faut bien l’admettre et attendre - une danse indécente
qui n’augure rien. La bourrache : brûlée, la consoude : brûlée.
Comment consoliderons-nous notre être sans cette présence ?

Danse collusive, soudain alentie. Indolence, ou est-ce au contraire
dolence cela ? Je me souviens d’un autre jour de neige qui enflamma
l’air. La braise flottait mais nous ne la voyions pas, retirés en nous-mêmes.
Aucune déploration de cardiomyocytes en ce temps-là,
la faim nous tint serrés comme aujourd’hui la distance affame.

Instant perplexe, jusqu’à suffoquer. Viral le monde irrévocable
peine à présent. Voici ce qu’à l’instant je lis : Viens / Viens-t’en,
viens dans l'instant, avec tes perleries. Tes perleries de fleurs et
de neige, et le collier vibratile de tes nombrils. Respire et viens-t’en,
le présent est à l’instant ce que ce pré est au temp

l’amour est naissance*
tu regardes flotter la braise / dans l’indécence cristalline du vrai**
Viens / Viens-t-en, viens dans l'instant, avec tes perleries*
La faim nous tint serrés***
*Wallace Stevens, Ideas of Order, Fantômes en tant que cocons, traduction Gilles Mourier
**Amelia Rosselli, Document, p. 99
*** Amelia Rosselli, Document, p. 103



samedi 18 avril 2020

Hivernales 100


Il y a la neige dans la floraison houleuse des cerisiers


Il y a la neige dans la floraison houleuse des cerisiers,
l’ample silence des pierres et le silence tombal des fentes où
certainement se dissimulent d’étranges attentes,
des saxifrages étoilées par exemples, pour exacte attente
de peintre au désespoir de telles annonciations

vendredi 17 avril 2020

Hivernales 99


Nue comme elle est


Nue comme elle est, neigeuse Vénus venue avec le vent
car le vent est marée, chacun le sait, un poète l’a vue nue
monter et descendre comme le dégel - ou comme les cendres
me dis-je -, maîtresse* venue de la nuit - Inanna est là aussi, Ishtar** encore,
nue descendant les Enfers, infiniment vulnérable infiniment aimante -

les sept voiles consistèrent ici en neige et en pétales des sept cerisiers
sur la pente fiévreuse de mars. Je l’attends entre chaque pierre du muret
où j’attends, regardant flotter la braise, humant un parfum fantôme.
S’entend l’envol flou de ces tourterelles turques qui vont par paire.
Mars, reprise de la guerre, comme il fallait s’y attendre.


*Je vous attends dans le cercle le plus caché
des pierres./ Et je vous attends avec le sel des spectres / dans les reflets
des eaux volages / dans les malheurs des acacias / dans le silence des fentes
Benjamin Péret, Nue nue comme ma maîtresse, in Dormir, dormir dans les pierres, 1926
( lu et découvert sur Poezibao )  

**Ishtar ( déesse mésopotamienne d’origine sémitique, Inanna dans la mythologie sumérienne «  Dame du ciel », « Reine du Ciel, de là où le soleil se lève » En tant que planète Vénus, la déesse est parfois appelée dans les textes sumériens d'un autre nom, Ninsianna, la « Dame, lumière du Ciel », qui semble être à l'origine une déesse indépendante dont la personnalité a été absorbée par Inanna. Elle apparaît sous cet aspect astral dans des prières dédiées aux « divinités de la nuit », un ensemble d'astres divinisés intervenant dans des rituels d'exorcisme ou de divination), Ishtar donc, est descendue aux enfers, en enlevant sous la contrainte un vêtement à chacun de ses passages des sept portes des Enfers. Elle y arrive entièrement nue.
Ereshkigal, «  Dame de la terre », « Reine du monde d'en dessous », déesse du monde des morts contre laquelle elle s’emporte alors, ordonna au messager Namtar ( considéré comme responsable des maladies et des animaux nuisibles. La mythologie indique qu'il commande soixante démons, chacun correspondant à une maladie et pénétrant une partie du corps humain ) d'emprisonner Ishtar,  et de déchaîner contre elle soixante maladies. Après la descente d'Ishtar vers le monde inférieur, toute activité sexuelle cessa sur la terre.

jeudi 16 avril 2020

Hivernales 98


Des mésanges le "surout pas surtout pas"


Des mésanges le surtout pas surtout pas
suspendu dans la neige confondue
un peu plus bas avec les fleurs des cerisiers
et des pruniers. Une parodie de bruire hivernal
avive les coudriers, contrefaçon burlesque

si elle n’était lamentable de notre état d’esprit
interdit : chanter l’hiver, vanter le souffle glacial
sur la nuque de Vénus, ses adorables petits nombrils
perclus de gel, nous étions aux apparences assujettis
ou bien simplement sensibles aux mots ?

Mésanges infuses dans l’harmonie des blancs tous plus labiles.
Splendeur des faillites. Chutes d’ailes et de pétales.
Cette rareté effraie l’œil emporté avec la branche, aux
attouchements éperdus des cerisiers avec la haie. Effets
de l’étrange fille de Mars et de Vénus, nous étions prévenus.

C’est d’une indécence ces flocules ! Coagulation
des apparences, collusion harmonieuse ou danse des sept voiles
( comme 7 cerisiers ) en vue de quoi, de qui, quelle annonciation ?
Les ardeurs printanières sont altérées, le printemps dénaturé.
La braise tombe sur les pierres comme perlerie de cristal. 


l’amour est naissance*
tu regardes flotter la braise / dans l’indécence cristalline du vrai**
Viens / Viens-t-en, viens dans l'instant, avec tes perleries*
*Wallace Stevens, Ideas of Order, Fantômes en tant que cocons, traduction Gilles Mourier
**Amelia Rosselli, Document, p. 99