vendredi 31 mai 2019

Narcose 166


Tu pars un après-midi.


le souffle de vie s'use chaque jour  
…Quelle douleur - chercher la parole perdue

Tu pars un après-midi.
Voix de profil perdue,
voie d’eau dans le soliloque. Je suis rendue
aux fleurs, la vie légère des fleurs.
Seule je cherche la concentricité dans la nuit.





jeudi 30 mai 2019

Narcose 165


" J'ouvre mon livre de problèmes "


J’ouvre mon livre de problèmes :
Infini, énormes racines,
Herbier aux simples effeuillés
 

Où Ossip est en chaque ligne.
J’ouvre le poème - j’exerce -
avec la droite intention d’insuffler
à toute chose un peu d’air
de sang dans un bouche à bouche
avec l’œil et l’oreille. Choses et mots conjoints venez ! Mots 
phrases - rythmes et configurations notés - aussi chers
à mes yeux que prunelles ou… tiens ! Asters !
Chrysanthèmes !

J’ouvre la clarté d’herbes et de simples, terre
rude comme toujours sous la houe redoutée,
d’énormes racines à l’évidence, c’est le pivot et
la tentation du pré, mais du simple geste répété - réinterprété -
adviennent des chants nouveaux 

mercredi 29 mai 2019

Narcose 164


Les têtes des tulipes


Les têtes des tulipes
toutes sont tombées
sur la terre au pied
de la nuit nue la bavardée
s’en est émue aux pieds
coule le turban des cent bouches
qu’elle enjambe

mardi 28 mai 2019

Narcose 163


Sous l'amorce lunaire


Sous l’amorce lunaire
en convive égarée - s’égarant -
vois que les cent bouches ou les cent yeux d’Argos  
- fleuve : rêve de fleurs - sont là qui brillent réveillant
les pensées accrochées au lit de gravier clair.
L’allée blanchit. En mai, même l’outil fleurit
mais le limier l’ignore possiblement

lundi 27 mai 2019

Narcose 162


Havre haches



Havre haches sous le toit frangé d’eau
les dents déchaussées sans cesse
des billots luisent la nuit quand j’essaie
- avec tous les mots pour dire vie
pour dire vigne - quand j’essaie
de suivre chaque sarment nouveau
en chaque ligne

dimanche 26 mai 2019

Narcose 161


C'est l'ombre lâche


C’est l’ombre lâche des haies champêtres
que les branches veules de plus en plus veules
accablent ; les branches que la pluie accable ;
d’un fardeau égal visuellement s’étale
le vert en rien soulageant l’être dérobé à l’être
dans ces haies où s’efface toute figure

samedi 25 mai 2019

Narcose 160


La pluie qui tombe également


La pluie qui tombe également
le sale mélange des ombres et de la pluie
plutôt que sale : lâche. Et instable.
Aucune ombre ne se saisit d’aucun instant.
Fétide le vert omnivore qui monte envahit
l’idée

vendredi 24 mai 2019

Narcose 159


Deux ou trois configurations


Deux ou trois configurations théâtrales du jaune
- toutes à la diversité - la luzerne lupuline « Mignonnette » 
éclaire - en très humble régisseur de l’humble scène
de rue - la rampe terne sous la pluie
et elle luit

jeudi 23 mai 2019

Narcose 158


Langue rompue à la verdeur


Langue rompue à la verdeur
mais aussi à la clarification.
Je regarde aujourd'hui les veines d'eau
courir dans la pente emporter les pierres
accumuler les végétaux
creuser dans l'humus immature des canaux
causer des crues à fleur de bitume
par-dessus des redans de jeunes pépinières.

Dans ces ressauts-là prolifèrent
les minuscules jardins détrempés et hirsutes
des soubresauts de vie accumulée
austère et brute où s'associent le colza
le laiteron et la luzerne 


mercredi 22 mai 2019

Narcose 157


Il demande en le voyant


Il demande en le voyant Or sѐ tu quel Virgilio e quella fonte
che spandi di parlar sì largo fiume ?
Qui répand un si grand fleuve de langage
Voici que Dante identifie Virgile
à la source - l'eau de quelle fonte littérale -
par laquelle s'épanche la parole des tréfonds
à travers le corps fissile,
tandis qu'à moi J. écrit :
" j'assèche une cave dans la cour
qui retient l'eau l'hiver. Une pompe tourne
silencieusement et je laisse l'eau phréatique
déborder de la citerne.
Cette eau vient des profondeurs, des diaclases ",
et je le lis aussi. S'impose subitement
l'immanente hydraulique de la langue - Seamus Heaney, oui, la langue aussi -
mécanique en mouvement qui échoue par la bouche à dire le temps
cependant que le figure en sa veine et l’amplifie

mardi 21 mai 2019

Narcose 156


Le monde, lequel peut-être était, alors


Le monde, lequel peut-être était, alors, - est encore ? - comme
une vallée sombre - nuit toujours, notre propre obscurité
au bord de laquelle nous attendons, avec ou sans rameau d’or
sentinelle de nous-même, en vaines ombres - il fallait bien la traverser.
Passer le temps. Ou bien - autrement dit - commencer et continuer.
Passer ou se jeter dans le fleuve de langage 
l’eau déjà - et tellement - à la bouche.

lundi 20 mai 2019

Narcose 155


Lors de la grande épidémie de peste


Lors de la grande épidémie de peste de Florence de 1348
Boccace a rédigé le Décaméron ; des arbres, de l’herbe et de l’eau
voilà l’endroit choisi pour la Troisième journée de ses jeunes gens
dont le chardonneret survole la source. Christine de Pisan écrit
son Livre du Duc des vrais amants en vers avec des insertions
de lettres en prose et des pièces lyriques, et le situe dans un jardin au ru bel et clair
ainsi que ses Cent ballades d’amant et de dame vers 1405, et Alain Chartier
ces cent huitains de vers octosyllabiques de La belle dame sans mercy
en 1424, tous deux en pleine guerre de cent ans, et presque concomitamment
à la grande dépression et au grand schisme. Toujours dans l’attente de maux
plus formidables, oppression, faim, peur et détresse, c’est ainsi
qu’ils se sont rendus utiles. C’est ainsi qu’ils ont vécu.

dimanche 19 mai 2019

Narcose 154


Voici. Nonchaloir et lascivité


Voici. Nonchaloir et lascivité
- monte un monde vert comme il pleut -
maintenant elle plie sous les poussées
et tout coule aussi - et encore - dans la pensée

pluie amène - est un petit lieu printanier -

qui permet de continuer de poursuivre
- nonchalamment - ce qui me poursuit


samedi 18 mai 2019

Narcose 153


Juste sous l'aplomb du rayon


Juste sous l’aplomb du rayon, ce rien
que le réceptacle étanche comme la valve rainurée d'une coquille
c’est la feuille d’alchémille. Rien que la feuille incurvée
et flottante, profondément nervurée :
quelle sereine reçoit le serein. Perle qui roule mais
ne mouille, non. Ou veille, verte et ouverte,
la conque naine où perle notre œil vierge, nef de l’imagination.
C’est l’autre Manteau de Notre Dame, son nom de jardin,
aussi petit qu’un bénitier vernissé
d’un vert chartreuse déplissé il accueille et
offre au regard. Mais où est la dame, où le sein
de la vierge anadyomène ? L’écrin sertit le sien
en un précipité bouillonnant, tandis que le mien
bondit comme un cœur.

vendredi 17 mai 2019

Narcose 152


Scène courtoise sur un coffret

Scène courtoise sur un coffret orné d’œillets blancs
ou de lychnis dioïques ( compagnons blancs ) Cela est ma joie
dit-elle et lui joue du luth pour la conquérir.
C’est ce même livre que je feuillette
où Christine de Pisan creuse au Champ des Lettres
avec la bêche ferrée de son intelligence le jardin clos de plessis
où fonder la Cité des Dames. Sa pioche d’Interrogation ardemment
s’ingénie à cultiver sa pensée et son jouir en indissociables amants.
Clos, clos toujours est le jardin de ces inséparables
car c’est à l’image de l’hortus conclusus que sûrement
l’air de toutes parts forme la clôture du jardin.
Où l’on apprend qu’il n’a pas toujours été gênant
d’évertuer son être au pré du présent.
Approche, observation,  et déduction. Ceci comme un usage possible de la poésie.
- Tu veux te rendre utile dis-tu ? Je réponds que tu as infiniment
raison de rester les yeux rivés sur ton livre en ce jardin ! Infiniment sans ironie.
Car en une époque d’injustice quoi de plus juste, équitable
même, que la quête et la déduction de cette belle dame sans merci ?*

* en pensant à K. Rakosi

__

En une époque d’injustice
il est embarrassant
de se faire surprendre
à jouer du luth.
Ego sans bornes,
je veux me rendre utile
(alors, ne reste pas
les yeux rivés sur ce livre !)
Suis très sérieux
et généreux
(toi l’ironie, casse-toi !)
tout à l’excellence
de la belle dame sans merci.  

Karl Rakosi, The Collected Poems (1986) Poèmes choisis  Traduit de l’américain par Auxeméry.
Découvert sur le blog Beauty will save the world  
https://schabrieres.wordpress.com/


jeudi 16 mai 2019

Narcose 151


Par approximative pensée


Par approximative pensée avancées
les brunelles - en charbonnières assidues -
le lierre terrestre et les épiaires sont les compléments 
attendus au préau.
Les voici, oh ! pré clos et amène, juste pour la vue
et la déduction !

mercredi 15 mai 2019

Narcose 150


Que croyons-nous être


Que croyons-nous être ? Rien,
ni la respiration empruntée au
battement de la pluie sur les tuiles   puis
                crue hors du chéneau sur le lambrequin
- ce jour où tout regorge d’être nommé -,
ni l’œil ruisselant ni l’attente dans les reins
debout face au verger détrempé au
vert infus           - Comme il aura plu aujourd’hui !
                                        Comme il aura cru ! -
rien ou tout c’est selon ( mais pas la volonté )

Je dis ceci et revient le jardin régulier
et moi bien plus calmement à son bord

mardi 14 mai 2019

Narcose 149


Voici / l'aigrette coronaire surgie


Voici
l’aigrette coronaire      surgie
en foudre
- de guerre pas lasse -
elle sans compter. Oui le voici     
pissenlit      qui
déleste son capitule

lundi 13 mai 2019

Narcose 148


Une solitude carrée


- Une solitude carrée -
était-ce la clôture -  
considération de l’inefficace
langue faillie - qui vous retirait,
ou bien le temps ?

Était-ce le temps ? La quadrature
- la détermination d’une aire - intégrale de l’espace
et du temps ? La chambre résonne encore
de vos calculs grammaticaux et de vos lectures.
Le corps dont s’écartelait votre champ
comme est écartelé le cloître sur la gravure  - un écu -
ce corps somme toute plus complet/accompli
de voir et de dire
vous allait à merveille.

Comme il va à merveille ici,
comme il va, bien sûr,
figurativement : c’est une vie offerte que la vie
de celui qui en tire parole.