dimanche 31 mars 2019
Comme tout autour de Io les gris
Comme tout autour de Io les gris,
des verts se sont amoncelés ont empli les fossettes
et les ornières ici que ponctuent
la justesse aiguë, l’irréductibilité des violettes.
- Des pensées dit-elle, mais non, bien plus
la réserve contiguë au désir irrésolu
- perçant -, l’orientation des regards qui défie
l’attention et l’interprétation. Vulnéraire,
le mot ne dit rien d’elle, Viola, mais de la vision.
( en regardant Jupiter et Io,
peint par Antonio Allegri, dit Correggio vers 1531 )
samedi 30 mars 2019
Car il y a dans la violette
Car il y a dans la violette
toute la sonorité de mars
de la propension à lever - à s’enlever -
à la violence - rapt viol et diversion -. La bourrasque
ravit les vantaux du portail, rafle les bourgeons foliaires
- hécatombe sous
le charme dont personne ne fera le décompte
jamais - et personne sous le vent sous le charme où pourtant
déjà volette
la Petite violette
ou Boloria dia, bien trop prompte
issue de la procession colorée au ras du sol
- comme une fête sans concession à l’instant même où elle
s’arrête -
vendredi 29 mars 2019
La racine approchée
La racine approchée de la beauté
qui surprend et subjugue.
La chute d’eau souterraine coïncidente
à la lumière qui subjugue.
Personne n’ignore l’immanente
attraction des violettes. C’est mets des morts
cette prolifique beauté.
Perséphone a soif.
Son rapt volatil assèche la terre
comme le vent du nord.
On entend, penché
vers elle
Cyané en larmes et
le galop effréné des eaux souterraines.
Le char gronde de l’insatiable.
jeudi 28 mars 2019
La violette éperonne
La violette éperonne. Le regard égraine
dans l’herbe les points d’incidence de la couleur.
C’est comme une invitation à paraître.
En dansant en cueillant elle nomme et consomme l’espace
qui reste - une enfance - pour toucher ( non pas piétiner ) l’émerveillement.
Longueur d’un bras nu qui prolonge la voûte dorsale
cette longueur suffit à Nicolo dell'Abbate comme à Manet
dans son Déjeuner
sur l’herbe, pour parcourir la promesse.Roses, safran, violette dans une molle prairie
glaïeuls et hyacinthes, et un narcisse.
Vision des premières fleurs, œils ou bouches patentes,
le narcisse beau et profus, cent têtes émergent de sa racine
.
Coré cueille ces fleurs et le narcisse saisi à deux mains
s’émeut, ouvrant une brèche par laquelle Hadès
s’élance et vient l’enlever.
Elle prend son nom alors, devient Perséphone.
Déméter après le rapt de Coré ne veut plus rien avoir avec
rien
et endosse la robe hivernale ( lucidité oh tristesse )
mercredi 27 mars 2019
Équation personnelle
Équation personnelle : différence entre le moment
où se produit un
phénomène et celui où il est observé.
Parfois, c’est cette équation même qui est contemplée.
D’elle - distance éprouvée - naît un paysage
et un poème acceptable ou accepté.
Je connais ainsi plus de choses que je ne veux me l’avouer :
mais faut-il que ma bouche - comme une porte émue -
s’ouvre à l’approximation des racines.
Bouche de mémoire, renaissance.
Ainsi je pense à la déesse Coré
parcourant la prairie - elle cueillait des violettes dit-on
parfois -
cette activité comme
l’imploration de points vivants de référence
approche des
incidences.
Elle n’a pas pu tout voir, bien sûr. Mais en un instant
qui est tout les
instants, elle a accès à la réalité
approchée de la prairie où elle baigne totale perceptible
et perçue, réalité qui conduit à son enlèvement.
mardi 26 mars 2019
Maintenant je vois/que tout s'est dérobé
Maintenant je vois
que tout s’est dérobé,
bien que j’aie tout désiré,
bien que j’aie tout désiré,
et comme dans la nuit qui enlève aux choses
leur couleur*
j’erre dans un pré inconsistant
et désert.
Je regarde de tous côtés,
personne ne vient me parler,
personne ne vient me parler,
seul le vent qui secoue fortement
les branches, au lieu vécu
- méconnaissable - inaperçu
du tilleul
presque démembré
Je réfléchis qu’un poème fixe ces choses
- ou une image en les prolongeant -
et bâtit l’abri à la vie singulière
car seul il permet
de résister aux vents,
et à ce qui nous terrasse.
Je réfléchis qu’un poème accomplit
la mémoire dans l’impatience -
initiation de toute façon, à l’air
à la lumière, et à l’espace -
et stabilise les berges comme l'iris.
Monde que j’avais perdu
je te retrouve - concrètement -
dans le poème que j’écris
- haut lieu des incidences
mémoire accomplie de l’incidence -
qui n’ignore pas la désolation ni la mort - ça non -
mais les invoquant les transmue.
Faible sous l’assaut du vent est la branche
je gravis avec elle les degrés de la couleur
- le soleil revient, la pluie cesse de battre, le vent
s’en va -
* Virgile, L’Enéide,
Livre VI, vers 272
il est facile de
descendre dans l'Averne :
nuit et jour, la porte
du sombre Dis est ouverte ;
mais revenir sur ses
pas et s'échapper vers les brises d'en haut,
c'est là l'épreuve,
voilà la difficulté. Virgile, L’Énéide,
Livre VI, vers 125-128
…Seulement ne confie
pas tes chants à des feuilles,
de peur qu'ils ne
s'envolent, jouets des vents subtils ;
chante-les toi-même,
je t'en prie. Virgile, L’Énéide,
Livre VI, vers 73-75, Énée à la Sibylle
lundi 25 mars 2019
Vantail emporté
Tandis que le vent resserre les côtes
à grands coups quand
- les déjouer, les à-coups obliques
conquièrent les vantaux dévergondés
-
la fièvre s’empare aussi du gravier.
À nos pieds l’univers - en ses lois et ses variations -
résiste à la science des frottements
et crisse où s’émeut la physique
de ce grand grand
portail :
- comme un bateau
s’émeut
et quitte son port -
sa lourde physique aux dépends d’elle-même
s’émeut
dont je réponds.
De ces gonds je réponds
dimanche 24 mars 2019
Avec l'averse
Avec l’averse viennent les violettes.
Sans une pensée, sinon pour l’échelle et la massette
que je sais dans la remise, cédant à l’impulsion pointillée
de leur œil je dénoue la cordelière discrète
- pas encore un rosaire - et soudain je n’ai plus d’autre
visée
que ma dette envers
la couleur
aiguillage discret que je suis, n’ayant soudain plus d’autre
visée
Comme épongée, cette dette, comme épongée
par le geste dévolu à la cordée.
Je suis le chapelet de mauves odorants
sur le bourbier des verts. Je l’écris.
Déjà le chiffre et le nacré y auront leurs œufs.
samedi 23 mars 2019
L'obstination de l'échelle
L’obstination de l’échelle
entre mon œil et le ciel de l’arbre
- comme on dit « ciel de lit » -
quand je suis assise dans l’herbe.
Cette échelle une
béquille perspective
ses doubles pans en fuite.
Désir, désir encore ; de tout voir
tout embrasser.
J’avais planté un arbre. Quand je l’ai fait
j’ignorais même qu’il me ferait voir
la profondeur. Je n’ai pas compris
ses yeux, tangents à la couleur.
Elle qui persiste loin dans l’aveuglement
par ce lacis empressé sommée d’être
plus bleue plus réelle. Plus solide aussi.
Jusque dans l’herbe,
endormeuse couleur
elle me tient au dessous de l’échelle
pans boiteux à cheval sur elle.
vendredi 22 mars 2019
Un corbeau freux
Un corbeau freux picore
dans l’ombre nette du tronc
noir sur noir où l’ombre
respire. Vois-tu les sombres sombres
fleurs de la Bergénie dans le triangle nord
de la cour. La courge doubeurre dans le panier
son berceau de graines d’or attend la main
qui l’évidera.
Dans le bleu aussi un œil prend source
et vit
rosit puis un autre
encore
et sa répétition abreuve la couleur.
Temps douteux, c’est d’attendre à la porte
bien que je ne sache pas quoi - « Nous
ne savons pas en fait, tu sais,
nous
ne savons pas vraiment
ce qui
importe… » - *
ne savons pas en fait, tu sais,
nous
ne savons pas vraiment
ce qui
importe… » - *
l’instant se perd dans l’impatience.
D’elle - l’impatience - je fais un poème
et lui l’accomplit.
- et c’est ainsi qu’avec le leurre se forme une réalité -
*Paul Celan / Nelly Sachs : Briefwechsel, Suhrkamp
1993. Traduit par Jean-René Lassalle
jeudi 21 mars 2019
Menues reconquêtes
Menues reconquêtes
Parfois par la vue,
d’autre fois par l’ouïe *
descendu après avoir bu l’eau de l’oubli
au fond du puits avec les gâteaux de miel
pour amadouer l’oracle, lequel ? Le miel, ma grand-mère
pratique m’en fait ingurgiter contre la toux
et l’extinction de voix. Laryngite ; pharyngite. Gros
sel
d’abord, l’eau de mer des antiques en gargarismes, ne te noie pas surtout !
Elle se racle la gorge pour l’exemple.
*Pausanias, Description
de la Grèce, IX, note au poème Les
présents, in Yannis Ritsos, Pierres répétitions
grilles, p. 200
mercredi 20 mars 2019
Voici que dans ma paume
Voici que dans ma paume en coupe
se débat la première punaise à bouclier
cachant écusson et corselet poli de jeune imago
- vert condimentaire, géométrie des potagers naissants -
sous le roulis de ses frayeurs et
aussitôt, elle distille l’agent fatal
des pentatomes - fatal sauf à moi - : son arôme
de coriandre fraîchement cueillie
mardi 19 mars 2019
Au froid soleil la mue ou le massacre
Au froid soleil la mue ou le massacre
- il y a des bois dans ce bois répandu
et des pivots au lieu
des coupes anciennes -
sous l’échelle où je suis, désemparée,
ne sachant à qui me vouer, puis
- comment faire, comment former la couronne -
dans le cerisier me souviennent Artémis
et Iphigénie, l’hypostase,
protectrice des Ourses
qui pratiqua le feu sacré dans l’abîme rocheux
avant d’accepter le sacrifice.
Je me dis que cet arbre est, comme elle, né de la force.
Alors j’admets pour lui, et je m’étends entre les signes
dans la rumeur assidue
de la répétition
pour ne plus entendre que sa participation consentie
- de lui à moi - au feu
de l’imaginaire
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