jeudi 31 décembre 2020
Sans appel.
Sans appel. Et lui - le vent - découvre au ras de terre
les pousses aiguës et notre idolâtrie des détails
lui fournit les arguments : texture si délicate de ce
tendre vert
qui nous revient soudainement par les os, il était là déjà
esquisse dérobée à la vue, juste sous nos pas.
lundi 28 décembre 2020
Certaines choses sont bien sûr possibles
Certaines choses sont bien sûr possibles - bien sûr -
mais on ne sait pas au juste lesquelles. Comme on ne sait
pas bien
ce qui importe, vois-tu, (pensé-je sans que ce soit une
question
le moins du monde), est-ce le détail ou l’ensemble, l’effet d’ensemble
qui donne la température de la couleur, comme
ces feuilles d’automne ?
Mais pas aujourd’hui où tout ce que je ratisse est dispersé
par le vent.
Il n’y a déjà presque plus de ces voix résiduaires, envolée
la possible fumure,
parti mon petit engrais organique dans les prises du vent, promesses
d’amendements rêvées.
C’est leur essor qui désorganise mon paysage et cependant le
recompose d’une toute autre façon - selon une autre perspective, selon d’autres
lois somptuaires au libre cours -
selon un mouvement qui semble déréglé, ni continu
ni discontinu - aucune entente possible avec ce vent
qui s’ignore lui-même, son unique motif ce sont les rudiments
avec lesquelles il jongle, interjections insensées qui
éperdent, feuilles
ô vocatives sans réponse et mobiles
sans appel.
dimanche 27 décembre 2020
Elles bruissent
Elles bruissent et ça crisse et j’entends leur voix mêlées
comme j’entendis cet été
vos voix amies sous le tilleul venir augmenter la rumeur de
la nuit
venir configurer la mienne comme ce dôme configurait la pensée
- on se sentait à l’abri et le feuillage répercutait vos
rires - agir
un peu comme des vagues dont le ressac m’aurait fait perdre
mon objet
et aimer cela, le fait de le perdre, et de
perdre avec lui toute notion de l’espace.
samedi 26 décembre 2020
(nul hommage - nulle dédicace -
(nul hommage - nulle dédicace - on cherche l’adresse où
il n’y a qu’une agitation perpétuelle, un branle-bas général
mais disons l'expérience s'incorpore à l’être, le transforme par conséquent,
perdure aussi longtemps qu’il influe
sur ce qui l’entoure)
accrétion vivante
alors seulement je peux dire que je suis ce monceau de
feuilles,
ma masse aperceptive
sans cesse accrue avec l’expérience,
et chacune d’elles, sans que le tout n’ait pourtant un
quelconque rapport
avec la somme de leurs propriétés individuelles impossibles
à restituer.
vendredi 25 décembre 2020
Car c’est chaque fois comme un envoi
Car c’est chaque fois comme un envoi : le transport
est l’état normal du monde, la métamorphose donnant
les formes visibles des stations - aspects d’un
tout sans cesse en mutation -.
jeudi 24 décembre 2020
Je ratisse et la rumeur parle
Je ratisse et la rumeur parle maintenant de choses
découvertes
- non perdues bien qu’elles-mêmes soient passées, on dit
alors recouvrées -
de réciprocités qui se font voir sous l’amas, qui émergent,
d’autres choses sans être absolument issues de rien,
aurai-je le cran
de reconnaître que tout m’échappe, ou simplement de
reconnaître ?
Au cas où je ne l’ai pas, s’imposent à moi les verts hors
pairs, les vertes
distiques que lance l’amaryllis belladone, l’incomparée,
pour voir si ça prend,
mimant le départ de sa grosse étrave à bulbe,
disons une comparaison.
mercredi 23 décembre 2020
Et alors l’épaisse feuille du cognassier
Et alors l’épaisse feuille du cognassier,
la coriace aromatique du noyer, la souple lobée de
l’aubépine,
la petite or de l’érable champêtre, la finement dentée du charme
font la plus colossale relique qui soit - qui soit à rassembler
jamais
avec force râteau et déférence -. Face au vent qui fait virer
je joins la danse macabre, j’arrive aux toutes petites
choses
- vous dessous, feuilles peintes des cyclamens, et vous, gracieuse
cordée
qui poussez, verte, et propulsez dessous la
violette, comme au sortir d’un rêve.
mardi 22 décembre 2020
Est-ce que ça le change des phrases longues du printemps ?
Est-ce que ça le change des phrases longues du
printemps ? Non pas vraiment.
Mais qu’est-ce que cet autre
quand on ne peut définir, déjà, la spécificité
de l’un et de l’instant ? L’automne rend visible
simultanément l’autre chose en elle-même,
tout comme le printemps, et la multiplicité des choses
possibles dans ce mouvement
où toutes s’agrègent et se désagrègent, engrangements,
engrènements,
rougissements qui ne font jamais défaut. Où un chat
lunatique traverse le pré couleur
brique, l’herbe semble différente, assouplie sous son pas
précautionneux,
presque révérencieux. Il rêve, je le regarde et,
non, je ne désespère pas de vivre ma vie.
lundi 21 décembre 2020
Qu’aucune chose ne puisse même rester identique en soi
Qu’aucune chose ne
puisse même rester identique en soi
sous l’action du temps
qui passe* - pas même une généralité - voilà
ce que n’ignore pas le jardinier que les feuilles altèrent
chaque automne, lui
dont le râteau et la houe sont les armoiries.
Il n’existe aucune
limite à l’émergence de nouvelles sortes de choses
et toutes les choses
peuvent devenir d’autres sortes de choses*, et ainsi
je pensais au devenir du porteur même de ces emblèmes ; désarmé par
le silence et la nuit, impuissance et patience se conjuguent
avec l’espoir
de nouvelles saisons, c’est son blason qui essaime ses couleurs, sa lame
retournant terre et ciel il la retourne au cœur de l’hivernale dépose,
rares moments de perspicacité, des questions sans les
réponses
sauf que vous êtes ce que vous faîtes, l’air seul
vous renvoie votre image.
*David Bohm, Causality & Chance in Modern Physics, exergue à Way de Leslie Scalapino, traduit par Isabelle Garron & E. Tracy
Grinnell, éditions Corti, Série Américaine, 2020, lu sur le site de l'éditeur
dimanche 20 décembre 2020
Bon. Le voici qui bouillonne
Bon. Le voici qui bouillonne, brouillonne, et voici qu’il bourgeonne.
Voici les oiseaux tous à terre parmi les feuilles, en une
coulée de grande capacité
et fort débit dont on ne voit ni l’origine ni la fin. Tous
pourvoient à la page
même si nous en sommes déroutés. En somme ils sont la page.
Le poème devient
ce qu’il accomplit. Dans sa nuit sa
révision.
(la nuit était venue du corps des grands sapins cerner nos
intentions
comme le coutil dont on couvre la cage du canari - mais on
peut supposer qu’il entend tout -)
Plus sûrement il voit et entend tout.
samedi 19 décembre 2020
Dans l’écriture aussi
Dans l’écriture aussi c’est l’accrétion
- l’accroissement par juxtaposition, ou collage si ce n’est la
collision -
d’expériences et de données sonores et rythmiques qui
élabore un sens nouveau,
voire inouï, mais subtil, et si furtif, et la soudaine aperception
du poème.
Même si l’on ne vise pas la réduction - la résolution - et
la brièveté,
toute l’affaire est d’entendre l’ensemble - le monde, le poème
cet espace imaginaire fait de vrais évènements, accents et
sonorités -
dans la plus infime de ses parties. Pouvons-nous entendre
les vrais crapauds
dans le jardin imaginaire de Marianne Moore ? Oh
certainement.
C’est un travail d’incorporation et de transformation que fait
le poème
et que le monde s’en trouve - non pas changé - refait !
Donc y compris contre son gré.
Y compris contre son idée de la vérité et de l’ordre.
L’authenticité c’est le mouvement.
vendredi 18 décembre 2020
Il ne faut pas essayer
Il ne faut pas essayer, sans doute, de refaire un arbre avec
ces feuilles.
Ni même un fleuve. Et pourtant, cerné par un courant spiralé,
j’imagine ce fût, ce qui fut l’axe tourmenté de l’été,
travaillé
par le manque; aujourd’hui enroulé dans le vent,
à sa place était un renardeau.
jeudi 17 décembre 2020
Je ratisse et ceci - le geste
Je ratisse et ceci - le geste disons - ne fait pas un poème.
Il y manque la visée. Non la direction, mais la grâce.
Toutefois,
j’obtiens ce faisant la promiscuité nécessaire à
l’échauffement
- en tas, disons
- : l’accrétion et la capacité fermentative.
mercredi 16 décembre 2020
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