mardi 31 mars 2020
La lumière bégaie
La lumière bégaie - encore -
une flûte dans les herbes un rai
perce la volée de nuages
et persiste hors sol le dévers des gris.
Comme une amorce à cet arc,
est-ce un héron ou une flèche ?
lundi 30 mars 2020
Des tiges un chant sibilant
Des tiges un chant sibilant
comme une respiration disséminée
dans la saulaie. Et si je m’essaie
à faire la tare je n’entends pas, non,
ni ne peux distinguer, sinon celles-ci
pas le moindre souffle. Non,
c’est à peine si elles oscillent.
Scirpe de concert avec l’air,
roseaux et massettes, un long frisson,
et puis le faux acore aigu comme un cri
dimanche 29 mars 2020
Ascétique sur l'eau grise
Ascétique sur l'eau grise il m'a vue venir
contemplant quoi sur l'eau dure et froide
comme une plaque aciérée, la surface damassée,
un damas de ramages fins entrelacés de filaments
blancs à la dérive, un peu dénoués par les anneaux
concentriques, un peu dévidés comme si des soudures
se dilataient ? Quoi ? Certainement pas narcisse,
il scrute sa nourriture stoïquement pauvre, appauvri
par les vents, dommages dans ces plumes alaires auscultées,
dont la couleur s'émiette, et lui s'entête, comme je
m'entête
à saisir non loin de lui une touffe d'iris
Turbidité qui n'est pas turpitude ici, fétidité de la terre
glaise
des berges dans laquelle ont pourri les calames et les
plastiques, mais
où ravivent les verts et les blancs ténus, presque
translucides,
de premier printemps, de printemps hivernal, un novice primevert.
Sa dignité propagée à tout, en dépit du vent qui le
déstabilise
et l'ébouriffe, comme en dépit des ondulations s'affirme ici
une platitude, une humilité, la constance ravivée au pied
d'un héron
banal et concertant, d'une banale rivière dans la lumière
austère.
Je ne donne pas congé ni à la lumière ni à la couleur, non.
Je suis confinée avec elles dans ce printemps malgré tout
vivace
samedi 28 mars 2020
Comme je brûlai - je brûle pour lui -
Comme je brûlai - je brûle pour lui -
je me dis d’être le commis en tout genre
de ces choses que je vois, de m’atteler,
en greffier scrupuleux, au livre des variations
si peu perceptibles, des rotations, la basse obstinée
de la vie monotone. Un héron impassible
consentit.
Jour pluvieux de mars, de quelle couleur est la pluie
ce jour-là, vue de mon motif, saules cendrés immergés
à mi corps, tortueux et frangés de nuages, note bien
qu’ils passaient tout ce qu’on peut espérer en matière de
nuage.
De la masse, gris fouettés, reversée sur le plan d’eau,
vers le bas qui aimante, magnétique, ou repousse l’image
de l’air glisse à la surface polie de l’eau, frôlant l’eau
qui résonne, ces anneaux grandissent, se propagent vers les berges,
sous les racines plongeantes de l’oiseau circulent de fines
lanières
glutineuses, des lames resplendissent dans les
intervalles : longes
brunes et lacérations blanches en striations transversales
éblouies
composent la surface assagie
vendredi 27 mars 2020
Mais le héron / et/ou la grande aigrette ?
Mais le héron
et/ou la grande aigrette ?
- est-ce que je sais moi,
ce qui adoucit mon corps
et ce qui m’embellit ?
-
accords de blancs et de gris
accords sur le lit grêlé, gravier
trempé, luisant de lumière, où laîches
et roseaux balbutient reverdis,
et les saules cendrés et derrière eux l’aulnaie
encore très claire, comme la réponse l’est :
novice iris des marais
à la première herbe venue je brûle
jeudi 26 mars 2020
Mais la tête ? La tête suit le motif
Mais la tête ? La tête suit le motif
et pour ce faire
elle forge de durs métaux.
À l’étal où elle compose
se compose une attente
mais elle l’écourte, quand il le faut,
en allongeant le cou
d’un coup bref, jaculatoire
Toute la roselière a frémi à cet assaut,
j’imagine, dans les nageoires et jusque sous les saules
et les aulnes
du bord de l’espace au fatal point, au cœur du silence. En
moi
l’assaut d’une peur
osseuse*, native. Tremble soudain
l’entière source.
Il aura aperçu son image au centre de l’éclair
avant de s’abîmer, à cet instant précis où plus loin
les strobiles bruns balaient l’onde centrifuge
*Georg Trakl, Sébastien en rêve, L’automne du solitaire, Poésie/Gallimard,
p.143, traduction Marc Petit et Jean-Claude Schneider
mercredi 25 mars 2020
Qu'il avale la tanche - ou pas -
Qu’il avale la tanche - ou pas -
il disparaît avec elle, l’image
au centre de l’onde qui s’étend
sous la cavale des nuages. Dante
aurait dit j’ai une méthode pour être sauf
je brûle de dire et j’ai une méthode
j’étudie tant que je
peux l’attente
et le vent enlacent et rodent
mes os sur le bord de ces cercles j’étudie
le passage de la nuit, le vent, la rotation
de tous, ce mouvement, l’inertie et l’impulsion
l’attraction qui fait le vivant électif et sauf.
Choses faites et défaites
si belles dans leur renouveau
choses belles infiniment recommencées
qu’il s’agit de faire et fêter en forains
de l’attraction faire tourner rouer
à l’expérience, à l’usage, la gravité
douer les eaux d’oubli.
Et vois le héron :
Vienne à moi se frayer le motif
- tanche tant attendue -
que je plonge englouti, vu
avec l’oubli et le mobile
au centre de l’image
dans une infinité de nuages et d’eau dissipé
mardi 24 mars 2020
Aussi droit qu'un pal d'acier
Aussi droit qu’un pal d’acier
fiché dans un bois ronceux.
Bréchet tel un hachoir en suspens
sur le billot qu’il fixe, ô doux
ramages, puis d’un coup la détente :
la mort subite au centre du motif dont il était le figurant
lundi 23 mars 2020
Héron continu
Héron continu,
châssis des boues flottées,
chevalement des roseaux,
sans un mouvement,
- statut cendré debout
appliqué contre le ciel pie -
le soir au pied
de nombre galops
noirs et réverbérés
vertige tenu, pourtant,
dans l’eau malmenée,
par le vent s’émeut, épié
et attend la tanche
dimanche 22 mars 2020
Je m'assure qu'ils survivent
Je m’assure qu’ils survivent - tous autant qu’ils sont,
hérons
roselière ou nuages - survivent
à un poème, puis
je les remets au monde - tant j’ai peur que « restituer »
soit tuer, déjà -
comme on remettrait des poissons à l’eau, augmentés d’un
sens éclatant
- un éclat limpide - comme une respiration,
comme l’onde née du choc, de l’ébranlement en ce point - ce
mot soudain abouché
à l’autre - en signe sensible dont le poème est l’onde et la
propagation
- car un poème naît d’un mobile et non d’un sujet
-.
samedi 21 mars 2020
Noue en bavure de rivière
Noue en bavure de rivière
fera pâture de bronze pour
les hérons cendrés et les grandes aigrettes
Roselières aux bras chantants et noueux
rubans lamés de frais des baldingères
à la hâte à la farce printanière
vendredi 20 mars 2020
Je cherche l'accord qui ébranle et sonne
Je cherche l’accord qui ébranle et sonne, tonique ou pas,
dans le mot et dans son association.
Prenez « concaténation » : descente
inéluctable d’un escalier
logique par une perle de verre, cause et effet,
« filandre » : unique et tendre veine au
marbre froid de l’automne,
qui tende, altération,
par épenthèse de r, de filande, à durcir l’air
de l’hiver qui suit, « fleur » : fléau des
leurres, organe verticillé
des flirts, quatre fois concentrique - pas autant toutefois
que l’Enfer -
mais pectorale parfois. Fleur, mille fois à la moitié du chemin de notre vie
semis gracieux à l’œil sur ce chemin, bouillon blanc,
coquelicot,
guimauve, mauve, pied de chat, tussilage, violette…
Ante-enfer ténu du parfum suave et du désir, tandis que le périanthe
en entonnoir invite les luxurieux, accablés par le vent, à
boire le bouillon
avec le pollen d’or, enfin prenez « lui » : ma
foi, celui qui luit pour moi
au centre du jour, œil et indice de lumination, produit de l'éclairement
par sa durée, mains et mots, éventail de mes pensées, si c’est lui, de nos baisers
et de nos rires, pur délice sans chemin, battement et
tourbillon,
mon extase et mon amour
jeudi 19 mars 2020
Le plantain près de ta porte
Le plantain près de ta porte et la violette à tes pieds.
La saison changea d’abord par le sol
- verdeur pousse sous la ceinture de rigueur serrée
à la taille printanière : à deux yeux près, chasteté
vernale se prépare à éclore comme une bombe -
c’est un retardement dont j’entends néanmoins la clameur
mercredi 18 mars 2020
L'Oreuse couchée sous l'autoroute
L’Oreuse couchée sous l’autoroute,
c’est ainsi que certaines choses
vous marquent, s’en va vers les bois
tandis que la nuit fongueuse nous aspire
dans un bruit de succion. Des lèvres
sur la surface révulsée de la vitre je vois
la brillance explosive, et la moue émiée.
Où nous roulons dans l’espace lippu
j’arrive à l’orée du rêve sans doute car
me voici à l’instant assise à côté de toi.
mardi 17 mars 2020
"Très haut visait mon âme"
Très haut visait mon
âme… mais qu'est-ce que mon âme ?
Je sais seulement l'âme du fagot de la femme,
de la femme au fagot de
la mer lunaire
que j'ai bien vue alors dans un nuage, transportée.
Très subtile et souple âme de fascine de buis ou de bruyères.
Quant à moi je suivais toujours des lames - laminaires -
d'un doigt infléchi sur la vitre du pare-brise, j'incurvais
mon regard, je voyageais. D'où je venais je retournais,
certainement, et, oui, je ne savais ni ne sais
plus rien.Très haut visait mon âme, mais l’amour l’a bien
Tirée vers les tréfonds ; le mal plus fort la courbe ;
Donc, j’emprunte de la vie
La courbe, et d’où je vins retourne.
Friedrich Hölderlin (1770-1843) - Odes éoliennes, Ressouvenances, 2019 - Traduction française métrée de Claude Neuman, lue sur le blog Beauty will save the world
lundi 16 mars 2020
Bergères éoliennes
Et elles se tiennent là, tutélaires,
gardiennes d'on ne sait quoi, sur la crête,
est-ce de la courbure et de l'horizon ?
L'air verdit à la pointe de pales
étincelantes comme des glaives.
Aiguillonnés par ces bergères austères
les nuages dérivent en massive fiction.
Il aura grêlé, tonné. Le lièvre,
et l'homme-au-chien des maria lunaires
ont défilé aussi, Lares recourus
avec la femme-au-fagot, la terre
assombrie comme un miroir
dimanche 15 mars 2020
Pacifiques guerriers
Pacifiques guerriers
subtils et sans dessein - mais
non sans traces -
font un ciel fictif
déjà graveleux sujet de mars
lequel traverse des champs vrais.
Qui aura tel courage ?
Des vastes plaines
de pensées éoliennes
et de liquides effectifs
samedi 14 mars 2020
Les nuages ce jour là
Les nuages ce jour là
étaient flottille
formation d'air et d'eau
à l'assaut
de nous, passants - incrédulité nôtre
face à formation
de si subtil tonnage -
c'étaient des fleurs gazeuses.
Ensuite disparut
le promontoire rocheux
sous cette floraison.
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