samedi 29 février 2020

Hivernales 51


Cette nuit elle luisait


Cette nuit elle luisait, une, telle une mer lamée
alourdie de frai, son gros dos sombre montait
presque à la verticale, une montueuse herbe-mère
dressée avec la voix du vent. ( Dans l’après-midi elle s’était
couverte d’écume sous la grêle. ) Une houle de théâtre
non démentie quand j’ai vu s’avancer
les sapins, bômes roulés dans les voiles averses,
mâts noirs contrecarrés à peine par l’obstacle lune

vendredi 28 février 2020

Hivernales 50


Comme je comprends qu'Amelia Rosselli


Comme je comprends qu'Amelia Rosselli
la dise dissidente. Herbe dissidente entre les pieds emmêlés*.
C'est l'hiver qui piétine la discorde en chaque touradon. Le gris
domine encore et vainc sous la verdeur grêle. Le vent
vivifie la contrée des bruns. Sa voix viride a secoué la torpeur,
chacun des chaumes siffle un air avisé entre des nœuds anciens.
Pré sanguin a son de fer déjà. Au coffin l'eau gèle encore.
Son acuité lancinante, le corps contraint de s’y voir brin à brin 


*Amelia Rosselli, Document

jeudi 27 février 2020

Hivernales 49



Le prédicat n'est-il pas toujours dans l'her


Le prédicat n’est-il pas toujours dans l’her-
-be la provision des propriétés couramment admises ? Ainsi
je dis que l’air dans l’herbe - ici ce pré de printemps
précoce au semis de fleurettes significatives, en rien
la fleur de lys mais bien la pâquerette ou pasquette Bellis perennis -
je dis que l’air dans l’herbe est persifleur et que celle-ci
est pérenne, et rustique, et drue et dure au corps
autant que peut être suave et salutaire l’amène pasquette qui
au champ d’honneur guérit les blessures les plus graves.

Mais non pas ténue, ou tenace, non.

Cet air je l’entends qui siffle, en faune flûté, dru aussi et retors,
pourchassant la timide Belledis, une Dryade qui se ressème,
et tout perdure ainsi tout au long de l’année, lui changeant
ainsi que Vertumne, c'est le cours infaillible, le tour, le cercle ver-
-tueux de l’herbe.

mercredi 26 février 2020

Hivernales 48


Tandis que tu me lis le poème ( dialogue avec Isabelle )


Tandis que tu me lis le poème
( il y est question de prédicat et d’herbe
ou de prédicat dans l’herbe je ne sais pas
- et d’herbe dans l’herbe en tout cas
ici c’est un pré déjà bien fleuri
de pâquerettes - ) j’entends le vent tapageur
j’entends l’air qui est dans l’herbe
persifleur dit mille fois avisé
jusque dans l’aparté des courtils.
Celui-ci dont l’herbe n’a pas coupé les pieds
il court devant, langue pendue au clou
à droite en entrant avec la muselière
et le bâton. Cela fait-il de lui un berger, dis-moi ?

mardi 25 février 2020

Hivernales 47


Vers eux.


Vers eux. Fruits invasifs dans le ramas
de verre mais pas véreux pour autant
- un tableau déjà - ils sont comme des perce-neige
à l’aune de l’image, du temps la
délicate attention le soulèvement patent
de la réalité

lundi 24 février 2020

Hivernales 46



Un manège encore.


Un manège encore. L'épuisement
de la matière - dans les bras givrés
matutinaux serrés autour du désir -
tourne avec la précision de mouvement 
le hoquet d'une horloge déneigée

dans un angle - de vue - : feu d'herbes
incendie jusqu'à l'orgie des verts
sur la table c'est un brusque changement
de lumière qui me contraint acerbe
gorge soudain enflammée, à vers

dimanche 23 février 2020

Hivernales 45



Me les voilà dans un corps vitreux


Me les voilà dans un corpus vitreux,
pulmoné, ces deux pommes !
Du jamais vu sous un soleil pré-printanier
- et sous la cloche d’hiver heureux -
le reliquat des désirs d’un dernier automne !

Ceci est exactement la pure invention
du présent éruptif, l’indéfinissable
et subite invention d’une satisfaction
à l’esprit - sous-saisonnier - en paraison
dis donc, de l’incontournable

samedi 22 février 2020

Hivernales 44


Exacte verrerie empilée


Exacte verrerie empilée jamais pareille
et pas si différente, une forme, des formes
que la lumière ouvre et flétrit - aujourd’hui
j’y voyais des pommes -                        - j’y ai vu l’irruption de deux pommes -
bleutées tavelées de soufre et de rouille
et ces pommes respiraient comme
des poumons c’était si lénifiant, puis
dans l’appareil le reflet de la branche a
cessé d’osciller sur la cloche de verre.

Regarde dans quoi au juste pour être exact ?
Quoi, qui délivre son sens ?

vendredi 21 février 2020

Hivernales 43


Le vent s'est tu.


Le vent s’est tu. N’a plus de force, nuit.
N’est plus qu’une lune
distante et vaine, dans l'espace veule,
entre le tilleul à peine nimbé.
L’inanité guérit de l’abondance
non de l’intranquillité.
Informe est une forme encore,
seulement, celle-ci semble essoufflée
qu’épuisa un souffleur sans vergogne.

Un poème comme un collage,
est l'assemblage de faits et choses éparses,
de voix dispersées dans l'air qui sans lui
flotteraient, ce qui ne signifie pas au hasard
mais diffuses, - non ni hasardeuses ni utiles,
simplement indéfinies, indéterminées, en mouvement
comme au gré du vent ou d'autres forces - impassibles.
Il ne faudrait pas tenter de définir ce qui n'a nul besoin de l'être
seulement proposer un aspect, à l’ instant donné

de ce que, faute d'imagination et d'éclairage
nous nommons chaos. Au plus révéler ces forces qui l’affectent.
Je ne vois pas le chaos, je vois un flux changeant,
et qui m'échappe sans cesse, je vois ma perplexe
implication passagère, je vois un objet qui
s'élucide lentement à mes oreilles, je vois
le temps du travail laborieux, où un poème émerge
comme la lune indéfectible dans le tilleul.
Ce devrait être un objet autonome et hardi,

si le chant de la voix incertaine sait l'être,
sincère glaneuse, c'est-à-dire élucidée quant à ses mobiles.



jeudi 20 février 2020

Hivernales 42


Comme la prune qui survit

La prune survit
à son poème*

Comme la prune qui survit à son poème
la lune je m’en réjouis survit aussi,
entée sur le tilleul, et personne
- à qui parler ? - jusqu’à ce qu’on l’entende, ou pas,
( pour peu, quand même,
qu’une oreille passe )            
                                           per-sonne - un verbe à mes pas -
                                                                                 luit jusque dans l'herbe

*Wallace Stevens, Le comédien en lettre C, V, Harmonium, traduction Gilles Mourier

mercredi 19 février 2020

Hivernales 41


Ainsi chaque soir


Ainsi chaque soir les revoir n’est pas un luxe.
J’attends que s’allument les voix.

Le vent rien que le vent.
Le son de l’espace pris dans les branches
avive la compacité du noir. À ce moment

tout ce qui n’est pas lui s’efface.
Effraction de la sonorité du noir.
Je pense que la lune poussée par lui va entrer chez moi.

il n'y a personne, non, personne
c’est le frottement du vent contre toi

mardi 18 février 2020

Hivernales 40


Dehors des voix culminantes


Dehors des voix culminantes en
veulent découdre avec la trame.

De gutturales embûches rabattent
d’un coup l’ombre sur la table.

Plus noirs et nombreux sont les brisants
du verre sous le tapage de

sapins qui s’approchent
cernant - déclarant - la lune que j’attends.

À l’éclat voilé de leurs syllabes
- la vélarisation au palais -

je reconnais ces sapins

lundi 17 février 2020

Hivernales 39


Tu vois ce que je vois


Tu vois ce que je vois
par la vitre la lumière de la lune
- faut-il en rendre compte - un demi-
cercle éraillé ballotté entre les bras
plus noirs d'être clarifiés

une averse non d'eau mais de lumière une
si spectrale averse tandis que les vases
communiquent là où remonte insoumis
un reflet dans la concaténation pourtant d'un
abrupt escalier de verre

et entre la flottante trame distendue et
couverte d’éraflures, de rides, impacts
de l’arbre sur la lune, et le reflet que tu disais
désabonné au temps il y a l’accord et
la conscience de cet accord : la consonance

dimanche 16 février 2020

Hivernales 38


De la manière noire ici attablée


De la manière noire ici attablée
l’essaim monte       quelle
nappe blonde pour l’œil
dans la verdeur s’évertue
plus hautement
s’élucide et finalement
du noir s’émie
comme billes de verre

samedi 15 février 2020

Hivernales 37


Elle l'a dite " froide et planétaire lumière de l'esprit "


Elle l’a dite froide et planétaire lumière de l’esprit*.
Ici à l’intersection des deux plans -
commune pâleur croissant avec l’avancée des heures dans la nuit -
voici des couleurs pourtant, comme l’ombre peut l’être,
colorée, voici les bruns laminaires, teintés de jaune et de gris,
voici le vert sombre des sapins du fond, odorant sous le noir des arbres
de l’esprit*. La pointe orangée de l’aube. Tout sauf bleue.
Et dans ce cercle noir - où un puits se creuse aussi - où est recomposée la silhouette
fluide du tilleul, son tremblement de branches, émerge le pivot de nuit,
l’obscure racine, spiralée, recoupée, la lune.

Ce que je nomme lune, sans être pourtant tout à fait sûre de sa réalité
sinon de son reflet intercepté sur la table, à travers des ustensiles de verre
- là un U-tube, un ballon à bouillir, un manchon déambulent ou lévitent,
centrifuges - vus dans le miroir circulaire, 
et contenue en elle-même, néanmoins elle jaillit
et s’épanche en tous les objets, devenus sans nom,
qui tourbillonnent avec elle, dénudés, lunaires

Cette intersection de deux mondes, - notée ∩ : ensemble des éléments
qui appartiennent à la fois aux deux opérandes, comme un pont suspendu -
fait un mobile - visible, oui et même tangible -,
que recèle - désabonné[e] au temps** - non seulement l’image mais toute l’œuvre,
en lieu bien ordonné**, quoique souple et mouvant recoupement du particulier et de l’universel



*Sylvia Plath, La lune et le sapin, Ariel, in Œuvres, Quarto Gallimard, traduction Valérie Rouzeau
**Zakane, poème donné en échange