jeudi 29 février 2024

À la boîte blanche, vues 281


 

J’ai un chat fantôme

 

J’ai un chat fantôme

dont je ressens, comme pour un membre,

la sensation de présence, chaude

et douloureuse.

Aujourd’hui pour la première fois

j’ai parlé de lui au passé.

Doux regard dans un visage invisible.

 

mercredi 28 février 2024

À la boîte blanche, vues 280


 

La musique de la constance

 

La musique de la constance

même si celle-ci s’apparente à une roue

dont la jante sans bandage

plutôt qu’un rail - l’invariable ligne de frise

de l’histoire -

écrase et libère presque simultanément le monde et l’herbe qu’elle emprunte,

ce massacre permanent dont renaissent tous les espoirs,

(toutes les illusions aussi).

Effondrement et ruine, voilà ce que nous ne cessons de contempler

et (malgré tout) reconnaissants pour notre bonheur nous continuons,

nous rêvons de renaissance (vernale).

 

Je regarde la feuille d’herbe relever, la tête

ou l’extrémité apicale (comment dire), relever et pousser

verdir la pensée, viride (et virulemment quelquefois),

je regarde la pensée trouver des raisons de reverdir

avec la feuille d’herbe,

de croître avec la lumière

(même si cette clarté douloureuse nous blesse

de toutes les évidences qui touchent au monde, la réalité)

embrasser (caresser) (à défaut de mon chat)

cette invincible idée de résilience (dépassement de l’évidence)

(jusqu’à cette façon de minimiser ma tragédie).

 

Me redressant (moi aussi),

de mon observation je tire l’enseignement suivant :

en permanence nous mourons.

Mais permettons-nous de mourir

(à l’instar des êtres ténus)

sans aucune et pour aucune cause

(cause) : d’inconsistance simplement.

 

mardi 27 février 2024

À la boîte blanche, vues 279


 

Comme lui je vois le monde, comme une fleur

 

Comme lui je vois le monde, comme une fleur,

(nous voyons le monde comme une fleur)

au bord du jardin saturé de l’hiver de sa présence

(comment dire autrement) à hauteur de feuille d’herbe

le monde est plus diversifié, divers et consonantique,

lui y tenait son rôle devant la galerie non dissimulée du campagnol de champs

comme le vent devant la perce-neige.

C’est là la musique d’un massacre constant.

 

lundi 26 février 2024

À la boîte blanche, vues 278


 

Il vaudrait mieux sans doute raconter quelque chose

 

Il vaudrait mieux sans doute raconter quelque chose

mais je m’en tiendrai à ce fait.

Est porté disparu celui qu’on ne voit plus,

celui dont la défection ne fait aucun doute.

 

Il était partout où portait notre regard

ses yeux nous suivaient comme le chien en pensée,

notre pensée imprégnée

de la preuve continuelle de sa présence.

 

Son absence est-il notre défaut d’imagination ?

Mais que dire de tous ceux que nous ne voyons pas ? Jamais ?

Comment dire ?

N’est-ce pas moi qui me serais perdue ?

 

dimanche 25 février 2024

À la boîte blanche, vues 277


 

Où veux-tu en venir ?

 

Où veux-tu en venir ?

Détruire quel espoir ?

Moi j’attends mon mobile sachant

qu’il est encore (peut-être), et peut-être pas.

Il n’y a de ma part ni optimisme ni pessimisme : je constate l’absence

mais l’absence sans corps auquel se rapporter,

je constate le manque mais le manque sans réalité tangible.

J’attends son retour ou sa décantation.

(Je ne suis pas prête à déchanter.)

 

Ce que j’abandonne pour l’attendre ainsi ?

Le désespoir. Je suis (à la trace) son inaccomplissement auquel je consens.

Me voilà essayant de passer le nœud de branchages.

 

samedi 24 février 2024

À la boîte blanche, vues 276


 

Le voilà.

 

Le voilà.

C’est cet œil, dont je sais la permanence

énigmatique

caché dans le hallier du monde, immobile

et fidèle au poème.

Fidèle, attendra-t-il que je décèle l’intrigue

de sa disparition ?

Sous les branchages j’envie la quête, je surprends

la vie menue des traqués par le froid et la faim

l’œil limpide m’observant

il repose sur moi.

 

Que veux-tu dire avec ton annonce de mort ?

 

vendredi 23 février 2024

À la boîte blanche, vues 275


 

Ainsi dans la nuit de mon poème

 

Ainsi dans la nuit de mon poème pour lui

luit son œil clarifié

(il répond à mon appel

par un regard furtif qu’il faut saisir à la lampe sous un certain angle

pour tirer, haler, 

jusqu’à ce qu’il vienne se coucher à mes pieds)

 

jeudi 22 février 2024

À la boîte blanche, vues 274


 

Est-ce que cela peut s’apparenter à de l’outrecuidance ?

 

Est-ce que cela peut s’apparenter à de l’outrecuidance ?

Vraiment ?

Je m’imagine, par ces pensées, haler l’absent, réellement

le fil tendu du poème ne me le ramènera-t-il pas,

comme il a toujours fait ?

Je tremble infortunée en périphérie de ce pré si vaste,

vaine grève où se déroula, peut-être, l’occultation

(fatidique clairière du pire)

mais enfin

(pourtant sans effet lénitif)

il comble pour moi tous ces espaces scabreux, le poème.

 

mercredi 21 février 2024

À la boîte blanche, vues 273


 

Une mesure de moi

 

Une mesure de moi se tient dans la nuit pour réchauffer le temps.

Une mesure de moi gagne ainsi en puissance d’espérer.

Je voudrais la porte ouverte qu’il est impossible de tenir ouverte

à l’heure actuelle,

comme si l’appel d’air allait l’aspirer, le tirer jusqu’à ma chaude prospection.

Porte qui de toutes façons, donnant sur tout autre chose, bâille toujours un peu.

Je m’assure qu’elle bâille, me la baille-t-elle belle pour autant, de faux espoirs ?

Je suis tranquillisée ; ont toute licence d’agir mes brûlantes pensées.

 

mardi 20 février 2024

À la boîte blanche, vues 272


 

Elle la nuit

 

Elle la nuit a des frontières inconnues

où il est (normalement) plus facile de chercher l’introuvable

en raison de sa sonorité.

Normalement n’est toutefois pas cette nuit que la neige suspend

sans réflexion acoustique ni persistance sonore.

Tu peux attendre sans entendre, toi ?

 

lundi 19 février 2024

À la boîte blanche, vues 271


 

Cherche moi où tu ne peux me trouver

 

Cherche moi où tu ne peux me trouver

Où personne ne peut me blesser

 

Je cherchai et ne trouvai rien d’autre que l'espoir.

 

La nuit suspendue chante sans bruit,

le gel a pris aussi les respirations

la neige les accords secrets.

 

dimanche 18 février 2024

À la boîte blanche, vues 270


 

Dans les fondrières

 

Dans les fondrières

ses empruntes comme un semis précis

estampillent l’éternité croyons-nous

et sous la clôture grillagée

le lit sec de ses erres rompues.

Ses yeux, lumières réminiscentes

à travers le bosquet nègre.

 

Tout ira vers le noir

mais a encore quelques bonnes minutes avant la sorgue.

 

samedi 17 février 2024

À la boîte blanche, vues 269


 

Au loin le réticule

 

Au loin le réticule très net

la très nette lisière tendue comme une résille

sur l’uniforme blancheur,

le réticule de la pensée, calciné,

attend le feu, encore le feu, rougeoyant

de la première sève d’où je voudrais

le voir venir, amène, débonnaire,

gambadant par-dessus la mer gelée 

(sensation de dégel, et de débâcle) :

me voici, je suis un peu en retard je sais !

 

vendredi 16 février 2024

À la boîte blanche, vues 268


 

Couronne

 

Couronne comme poussée

d’une tête, laquelle (?), éclabousse

blanc sur blanc. (Un frais vert se hérisse, pointilleux).

 

Le lait lui aura monté à la tête,

(résidu maternel ou gourmandise)

perlée de larmes (laiteuses) en goutte-à-goutte.

Tête trésorière perd vite la raison.

 

Consolation, dit-elle ?

Je revois mon chat Tira à l’endroit même, sous la rose

Souvenir de la Malmaison.

 

Elle retournera le temps

selon quel vœu brûlant ?

Pour l’heure, à un doigt des ténèbres

la perce-neige pousse sa couronne hirsute hors de terre.

 

mercredi 14 février 2024

À la boîte blanche, vues 266


 

Apprends !

 

Apprends !

De la défection généralisée

le dénuement à partir duquel se réinvente

la longue vue sans attentes ni contraintes

âpretés aux mains libres

aux genoux libres, mais alors ?

À bien réfléchir je préférais la contrainte de leur amour

au froid inviolé, à l'impensable.

Je préfèrerai toujours.

Nul bonheur ne s’apaise*

et nulle blancheur (perdue) n’est plus pure que…**

Apprends donc ceci de la perce-neige !

 

*Louis Zukofsky, 80 fleurs, « Souci », traduit par Abigail Lang, éditions NOUS, 2018, page 51

** William Carlos Williams, Paterson, traduit par Yves di Manno, Éditions José Corti, Paris, 2016, page 87

 

mardi 13 février 2024

À la boîte blanche, vues 265


 

Plus il m’envahit, plus il est vivant.

 

Plus il m’envahit, plus il est vivant.

 

Mon épiphyte me nourrit en images

en vœux, en d’autres vies.

Je reprends doucement avec celle

que me distillent le souvenir de ses tours de souplesse,

ses joies juvéniles, ses caresses,

je consens petit à petit à ces mots,

j’opte pour le bon terme avec ces images.

 

Hardiesse néanmoins que cette paix gagnée

qui n’est pas renoncement à le chercher mais laisser-venir.

J’épouse ma peine.

Elle me soulage de la détresse.

 

lundi 12 février 2024

À la boîte blanche, vues 264


 

J’envie celui qui passe

 

J’envie celui qui passe

(quelle fausse douceur ce doit être

que la forêt intime, l’espace du secret,

qui s’y cache s’oublie probablement

son nom oblitéré, sa visibilité vouée

à des yeux absents

respiration infiniment réverbérée

mais in petto)

 

Plus je le perds plus il m’envahit.

 

dimanche 11 février 2024

À la boîte blanche, vues 263


 

Frontalité qui arde

 

Frontalité qui arde

attente-forteresse

armée de neige

moi je regarde la braise dans l’air pâle

le mal se propage à toute ma raison

tempétueuse

dure à rassembler

j’ai froid

(paume ardente de l’air sur mon front).

 

samedi 10 février 2024

À la boîte blanche, vues 262


 

Ce matin

 

Ce matin la façade des bois

poutrage surligné de blanc étincelant

armure entrecroisant les colombes comme des fers

aucune voix ne pouvait passer ce hourdis

interdite

ne pouvait passer ce mur assourdissant.

Mes bouchées de neige colmatent

encore ce front.

 

jeudi 8 février 2024

À la boîte blanche, vues 260


 

La voix déficitaire.

 

La voix déficitaire.

Le déficit.

 

(une bouche givrée que le tison de son nom brûle).

 

Son nom en amorce simple, en morsure du silence.

 

J’entends sous un hêtre citharède

qu’il accompagne mes interjectionnels abois

(invocations/interjections, soupirs).

 

La tragédie déloge toutes sortes de bêtes, oiseaux

(d’autres clapets d’autres déficiences)

foulant des ombres primaires.

 

Espoirs confus.

Ombres dépouillées.

 

mercredi 7 février 2024

À la boîte blanche, vues 259


 

À tâtons

 

À tâtons hantant

bois vent hurlant le soir

langue sèche clappe comme feuille morte

marcescente

pour personne

je hurle son nom aussi

(un nom qui tisonne)

 

Je ne dis pas qu’il s me manque nt. Disons :

je suis un état de manque.

 

mardi 6 février 2024

À la boîte blanche, vues 258


 

Le cherchant partout

 

Le cherchant partout - où il est -

j’improvise, j’invente des signes.

 

L’écho ricoche. Chaque flaque de lumière

- potentiellement lui -

luit plus que de raison

dans ma raison oblitérée.

 

Mon espoir est ma preuve

(mon espoir est mon unique preuve).

 

Je n’accepte pas le passé le concernant.

 

Vive dans l’empire de l’indiscernable

et le gouvernement de l’espoir,

je hante des bois illusoires.