jeudi 29 février 2024
J’ai un chat fantôme
J’ai un chat fantôme
dont je ressens, comme pour un membre,
la sensation de présence, chaude
et douloureuse.
Aujourd’hui pour la première fois
j’ai parlé de lui au passé.
Doux regard dans un visage invisible.
mercredi 28 février 2024
La musique de la constance
La musique de la constance
même si celle-ci s’apparente à une roue
dont la jante sans bandage
plutôt qu’un rail - l’invariable ligne de frise
de l’histoire -
écrase et libère presque simultanément le monde et l’herbe qu’elle emprunte,
ce massacre permanent dont renaissent tous les espoirs,
(toutes les illusions aussi).
Effondrement et ruine, voilà ce que nous ne cessons de contempler
et (malgré tout) reconnaissants pour notre bonheur nous continuons,
nous rêvons de renaissance (vernale).
Je regarde la feuille d’herbe relever, la tête
ou l’extrémité apicale (comment dire), relever et pousser
verdir la pensée, viride (et virulemment quelquefois),
je regarde la pensée trouver des raisons de reverdir
avec la feuille d’herbe,
de croître avec la lumière
(même si cette clarté douloureuse nous blesse
de toutes les évidences qui touchent au monde, la réalité)
embrasser (caresser) (à défaut de mon chat)
cette invincible idée de résilience (dépassement de l’évidence)
(jusqu’à cette façon de minimiser ma tragédie).
Me redressant (moi aussi),
de mon observation je tire l’enseignement suivant :
en permanence nous mourons.
Mais permettons-nous de mourir
(à l’instar des êtres ténus)
sans aucune et pour aucune cause
(cause) : d’inconsistance simplement.
mardi 27 février 2024
Comme lui je vois le monde, comme une fleur
Comme lui je vois le monde, comme une fleur,
(nous voyons le monde comme une fleur)
au bord du jardin saturé de l’hiver de sa présence
(comment dire autrement) à hauteur de feuille d’herbe
le monde est plus diversifié, divers et consonantique,
lui y tenait son rôle devant la galerie non dissimulée du campagnol de champs
comme le vent devant la perce-neige.
C’est là la musique d’un massacre constant.
lundi 26 février 2024
Il vaudrait mieux sans doute raconter quelque chose
Il vaudrait mieux sans doute raconter quelque chose
mais je m’en tiendrai à ce fait.
Est porté disparu celui qu’on ne voit plus,
celui dont la défection ne fait aucun doute.
Il était partout où portait notre regard
ses yeux nous suivaient comme le chien en pensée,
notre pensée imprégnée
de la preuve continuelle de sa présence.
Son absence est-il notre défaut d’imagination ?
Mais que dire de tous ceux que nous ne voyons pas ? Jamais ?
Comment dire ?
N’est-ce pas moi qui me serais perdue ?
dimanche 25 février 2024
Où veux-tu en venir ?
Où veux-tu en venir ?
Détruire quel espoir ?
Moi j’attends mon mobile sachant
qu’il est encore (peut-être), et peut-être pas.
Il n’y a de ma part ni optimisme ni pessimisme : je constate l’absence
mais l’absence sans corps auquel se rapporter,
je constate le manque mais le manque sans réalité tangible.
J’attends son retour ou sa décantation.
(Je ne suis pas prête à déchanter.)
Ce que j’abandonne pour l’attendre ainsi ?
Le désespoir. Je suis (à la trace) son inaccomplissement auquel je consens.
Me voilà essayant de passer le nœud de branchages.
samedi 24 février 2024
Le voilà.
Le voilà.
C’est cet œil, dont je sais la permanence
énigmatique
caché dans le hallier du monde, immobile
et fidèle au poème.
Fidèle, attendra-t-il que je décèle l’intrigue
de sa disparition ?
Sous les branchages j’envie la quête, je surprends
la vie menue des traqués par le froid et la faim
l’œil limpide m’observant
il repose sur moi.
Que veux-tu dire avec ton annonce de mort ?
vendredi 23 février 2024
Ainsi dans la nuit de mon poème
Ainsi dans la nuit de mon poème pour lui
luit son œil clarifié
(il répond à mon appel
par un regard furtif qu’il faut saisir à la lampe sous un certain angle
pour tirer, haler,
jusqu’à ce qu’il vienne se coucher à mes pieds)
jeudi 22 février 2024
Est-ce que cela peut s’apparenter à de l’outrecuidance ?
Est-ce que cela peut s’apparenter à de l’outrecuidance ?
Vraiment ?
Je m’imagine, par ces pensées, haler l’absent, réellement
le fil tendu du poème ne me le ramènera-t-il pas,
comme il a toujours fait ?
Je tremble infortunée en périphérie de ce pré si vaste,
vaine grève où se déroula, peut-être, l’occultation
(fatidique clairière du pire)
mais enfin
(pourtant sans effet lénitif)
il comble pour moi tous ces espaces scabreux, le poème.
mercredi 21 février 2024
Une mesure de moi
Une mesure de moi se tient dans la nuit pour réchauffer le temps.
Une mesure de moi gagne ainsi en puissance d’espérer.
Je voudrais la porte ouverte qu’il est impossible de tenir ouverte
à l’heure actuelle,
comme si l’appel d’air allait l’aspirer, le tirer jusqu’à ma chaude prospection.
Porte qui de toutes façons, donnant sur tout autre chose, bâille toujours un peu.
Je m’assure qu’elle bâille, me la baille-t-elle belle pour autant, de faux espoirs ?
Je suis tranquillisée ; ont toute licence d’agir mes brûlantes pensées.
mardi 20 février 2024
Elle la nuit
Elle la nuit a des frontières inconnues
où il est (normalement) plus facile de chercher l’introuvable
en raison de sa sonorité.
Normalement n’est toutefois pas cette nuit que la neige suspend
sans réflexion acoustique ni persistance sonore.
Tu peux attendre sans entendre, toi ?
lundi 19 février 2024
Cherche moi où tu ne peux me trouver
Cherche moi où tu ne peux me trouver
Où personne ne peut me blesser
Je cherchai et ne trouvai rien d’autre que l'espoir.
La nuit suspendue chante sans bruit,
le gel a pris aussi les respirations
la neige les accords secrets.
dimanche 18 février 2024
Dans les fondrières
Dans les fondrières
ses empruntes comme un semis précis
estampillent l’éternité croyons-nous
et sous la clôture grillagée
le lit sec de ses erres rompues.
Ses yeux, lumières réminiscentes
à travers le bosquet nègre.
Tout ira vers le noir
mais a encore quelques bonnes minutes avant la sorgue.
samedi 17 février 2024
Au loin le réticule
Au loin le réticule très net
la très nette lisière tendue comme une résille
sur l’uniforme blancheur,
le réticule de la pensée, calciné,
attend le feu, encore le feu, rougeoyant
de la première sève d’où je voudrais
le voir venir, amène, débonnaire,
gambadant par-dessus la mer gelée
(sensation de dégel, et de débâcle) :
me voici, je suis un peu en retard je sais !
vendredi 16 février 2024
Couronne
Couronne comme poussée
d’une tête, laquelle (?), éclabousse
blanc sur blanc. (Un frais vert se hérisse, pointilleux).
Le lait lui aura monté à la tête,
(résidu maternel ou gourmandise)
perlée de larmes (laiteuses) en goutte-à-goutte.
Tête trésorière perd vite la raison.
Consolation, dit-elle ?
Je revois mon chat Tira à l’endroit même, sous la rose
Souvenir de la Malmaison.
Elle retournera le temps
selon quel vœu brûlant ?
Pour l’heure, à un doigt des ténèbres
la perce-neige pousse sa couronne hirsute hors de terre.
jeudi 15 février 2024
Aperçue déjà :
Aperçue déjà :
ose vite ! une fleur ?
Larme de lait s’affaire à percer le jour
tandis que frimas ruisselle jusqu’à terre.
mercredi 14 février 2024
Apprends !
Apprends !
De la défection généralisée
le dénuement à partir duquel se réinvente
la longue vue sans attentes ni contraintes
âpretés aux mains libres
aux genoux libres, mais alors ?
À bien réfléchir je préférais la contrainte de leur amour
au froid inviolé, à l'impensable.
Je préfèrerai toujours.
Nul bonheur ne s’apaise*
et nulle blancheur (perdue) n’est plus pure que…**
Apprends donc ceci de la perce-neige !
*Louis Zukofsky, 80 fleurs, « Souci », traduit par Abigail Lang, éditions NOUS, 2018, page 51
** William Carlos Williams, Paterson, traduit par Yves di Manno, Éditions José Corti, Paris, 2016, page 87
mardi 13 février 2024
Plus il m’envahit, plus il est vivant.
Plus il m’envahit, plus il est vivant.
Mon épiphyte me nourrit en images
en vœux, en d’autres vies.
Je reprends doucement avec celle
que me distillent le souvenir de ses tours de souplesse,
ses joies juvéniles, ses caresses,
je consens petit à petit à ces mots,
j’opte pour le bon terme avec ces images.
Hardiesse néanmoins que cette paix gagnée
qui n’est pas renoncement à le chercher mais laisser-venir.
J’épouse ma peine.
Elle me soulage de la détresse.
lundi 12 février 2024
J’envie celui qui passe
J’envie celui qui passe
(quelle fausse douceur ce doit être
que la forêt intime, l’espace du secret,
qui s’y cache s’oublie probablement
son nom oblitéré, sa visibilité vouée
à des yeux absents
respiration infiniment réverbérée
mais in petto)
Plus je le perds plus il m’envahit.
dimanche 11 février 2024
Frontalité qui arde
Frontalité qui arde
attente-forteresse
armée de neige
moi je regarde la braise dans l’air pâle
le mal se propage à toute ma raison
tempétueuse
dure à rassembler
j’ai froid
(paume ardente de l’air sur mon front).
samedi 10 février 2024
Ce matin
Ce matin la façade des bois
poutrage surligné de blanc étincelant
armure entrecroisant les colombes comme des fers
aucune voix ne pouvait passer ce hourdis
interdite
ne pouvait passer ce mur assourdissant.
Mes bouchées de neige colmatent
encore ce front.
vendredi 9 février 2024
Et s’il neige
Et s’il neige/où irai-je
voix désunie
voix défaite
où irai-je porter cette voix
pour le chercher encore ?
jeudi 8 février 2024
La voix déficitaire.
La voix déficitaire.
Le déficit.
(une bouche givrée que le tison de son nom brûle).
Son nom en amorce simple, en morsure du silence.
J’entends sous un hêtre citharède
qu’il accompagne mes interjectionnels abois
(invocations/interjections, soupirs).
La tragédie déloge toutes sortes de bêtes, oiseaux
(d’autres clapets d’autres déficiences)
foulant des ombres primaires.
Espoirs confus.
Ombres dépouillées.
mercredi 7 février 2024
À tâtons
À tâtons hantant
bois vent hurlant le soir
langue sèche clappe comme feuille morte
marcescente
pour personne
je hurle son nom aussi
(un nom qui tisonne)
Je ne dis pas qu’il s me manque nt. Disons :
je suis un état de manque.
mardi 6 février 2024
Le cherchant partout
Le cherchant partout - où il est -
j’improvise, j’invente des signes.
L’écho ricoche. Chaque flaque de lumière
- potentiellement lui -
luit plus que de raison
dans ma raison oblitérée.
Mon espoir est ma preuve
(mon espoir est mon unique preuve).
Je n’accepte pas le passé le concernant.
Vive dans l’empire de l’indiscernable
et le gouvernement de l’espoir,
je hante des bois illusoires.