vendredi 31 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 599


 

peu importe

 

peu importe, nous ne sommes pas les premiers

à tenter de passer ici,

sous ce noyer habillé de brume

noire comme les reliefs d’un sabbat

on le croirait, on y a cru, mais c’était avant

(désormais rien ne nous arrête plus)

                                        (hum, dérisoire lente avancée

sans franchissement jamais)

 

Toi, ne cède pas devant les malheurs, mais avec plus d'audace

suis la route que te permettra la Fortune* aurait vaticiné la sibylle

et oui, on y va

après avoir marqué la pause sous le noyer.

 

*Virgile, Énéide, chant VI, 95-96

 

jeudi 30 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 598


 

comme pris au piège de la juglone

 

comme pris au piège de la juglone

ou d’une sibylle à l’énigmatique

oraculaire sentence

tu ne passeras pas ? Pas l’hiver ou le pas ?

peut-être pas ; juste un amas de gouttelettes

en suspension masquant la profondeur

à toute épreuve)

 

mercredi 29 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 597


 

non, il nous effleure seulement

 

non, il nous effleure seulement

et nous filons

 

- les arbres tiennent la nuit ici

les noyers tiennent des haillons de brume

que nous prenons naïvement pour des reliefs

(peut-être les oripeaux de nos prédécesseurs

jugulés

 

mardi 28 janvier 2025

dimanche 26 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 594


 

Signes noirs dans la nuit noire

 

Signes noirs dans la nuit noire

embrumée et plus tangible d’être

obturée ainsi

ils tendent des bras

défeuillés par incompatibilité avec

la croissance continue

(leur libéralité n’est pourtant plus à démontrer

en son temps)

mais endurant la nuit

mais opérants, bras

plus présents dans l’obtus

l’obscur hiver.

Embrassent (de plein fouet)

notre lumière qui passe.

 

samedi 25 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 593


 

Non pas terres vaines, non,

 

Non pas terres vaines, non,

il suffit de passer sous ces arbres

de frôler les haies de ronciers

et d’églantiers, de prunelliers (on sait

ce que ça donne

en plein jour ou en pleine saison

ça n’est pas plus humain,

seulement plus familier).

Où, de nuit, un monde

confiant dans ses ténèbres

s’adonne à la perception.

 

vendredi 24 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 592


 

(C’est là que cette petite route

 

(C’est là que cette petite route

sinue entre des guérets luisants

et la façade des bois

un rempart long et mouvant

fortifiant la brume

elle est bordée de tragédiennes

effigies, des noyers tors dans les phares,

des chênes lents enclins vers notre passage,

lent pour voir le répit des daines.)

 

jeudi 23 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 591


 

[l'issue] vers quelque lieu ouvert, à investir, vers un toi irrévocable, vers une réalité à invoquer

 

[l'issue]  

vers quelque lieu ouvert, à investir, vers un toi irrévocable, vers une réalité à invoquer

dit Paul Celan*

sachant que ce transport est la cible, la seule cible plausible

- comme il est aussi celle de la flèche rapide qui traversa les douze haches

pour qu’Ulysse recouvre sa légitimité irrévocable,

et

l’agent de notre dénuement -)

 

J’ai pensé à la daine percluse,

des doutes entravant sa fuite, et

à son répit, son regard en arrière

dans la brume transpercée de nos phares.

 

*Paul Celan, « Discours de Brême », dans Poèmes, trad. de John E. Jackson, Le Muy, Unes, 1987, p. 17

 

mardi 21 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 590



 

Le retranchement et la cause perdue.

 

Le retranchement et la cause perdue.

J’ai pensé à nos vies butées dans la terreur

comme figées parfois

(dans le porte-à-faux entre la blessure - notre méfiance

vis à vis de la libéralité, toute croissance flatteuse - et

le désir - malgré tout - et sans objet, l’issue

 

lundi 20 janvier 2025

samedi 18 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 588


 

Ou ce faux-semblant

 

Ou ce faux-semblant, et de jaillir sur toute main tendue ?

Ta robe justement, grise qu’on dit brune

comme l’hiver

la nuit, les murs bruns le sol de béton lissé gris souris

d’une buanderie fanée

austère, où tu apparaissait perdu après un jeûne certain.

 

Ton hypothèse c’était que l’endroit offrirait un lieu sûr ?

Que la nature trouverait toujours simplement une autre issue ?

Ou t’es-tu rué à l’intérieur parce que ça c’est la nature,

la ruée, l’impétueux transport

la portée d’un objet lancé ? 

Le cerveau se rue-t-il avec son corps

 

comme tu t’es jeté ensuite sur le manche

mu par l’instinct de survie

comme tu as mordu son extrémité, retranché tu étais

dans tes limites, rat, les confins atteints

de tous tes possibles

ta vie troublée de rat démuni ?

 

vendredi 17 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 587


 

Il y a une chose que je ne comprends pas

 

Il y a une chose que je ne comprends pas, rat,

c’est pourquoi tu es entré chez nous.

Que faisais-tu dans cette voie sans issue

à l’endroit de cet angle obtus qui te rend si proche de tout

l’inintelligible, avec ta volonté d’éluder chaque confrontation,

de te dérober dans les murs ?

 

jeudi 16 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 586


 

J’ ai pensé : je viens avec toi.

 

J’ ai pensé : je viens avec toi.

Je deviens rat, nous confrontons nos solipsismes je

mords avec toi, nous mordons

(de concert)

le manche qui nous éperonne

la pierre, la plume, le sarment.

Nous pratiquons la cavale.

Nous crions, nous faisons du bruit avec nos pieds.

Nous ratifions le binôme, la morsure collatérale et la rage commune.

Nous fêtons notre bravoure sous la lune.

Nous embrassons le monde.

L’issue c’est l’amour.

 

mercredi 15 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 585


 

Des cris stridents

 

Des cris stridents puis le silence,

tant de ressentiment et de hargne

devant ta propre impuissance (que tu croyais)

alors que la porte avait été grande ouverte

et le restait.

 

Je te regardais d’abord interdite. J’ai pensé :

l’issue c’est la rage, sûrement.

 

mardi 14 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 584


 

Notre rat qui es au monde

 

Notre rat qui es au monde

aussi perplexe, à ce que je vois, que moi-même

irrésolu de nouveau (bien qu’ayant trouvé

un départ dans la valériane et la rue

au pied de l’espalier de vigne qui t’accueille de tout temps)

veux-tu filer d’ici, aller voir ailleurs si j’y suis,

montrer les dents au monde entier !

(Ta détermination avec les dents.)

 

lundi 13 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 583


 

« Une autre issue »

 

« Une autre issue », est-ce que ça n’est pas

une intime résolution

ou même un expédient brièvement adopté,

et dans une urgence certaine

le moyen d’échapper non pas au monde

mais à la contrainte méthodique du sens et

des fins donnés, et du monde que nous nous faisons ?

 

La nature a cette ressource.

Nous qui sommes la nature avons aussi cette ressource.

 

Rien ne réalise mieux notre monde, finalement

que ces déviations intempestives, ces travers,

 

ces travers qui tissent - autrement - des passages.

 

dimanche 12 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 582


 

Il attend

 

Il attend

plein de prudence

parmi les pieds de valériane et la rue.

Il recouvre la lumière l’herbe et la pluie

la vue et l’odorat.

 

D’issue, je ne sais pas si c’en est une

car il semble accablé par la charge et l’étendue.

 

L’issue donne toujours sur le monde.

Pas d’autre dénouement que cet ici.

Les rats le savent d’instinct, on dirait,

qui ont en laboratoire servi tant de postulats.

 

samedi 11 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 581


 

Lui n’a eu l’appui d’aucun plan.

 

Lui n’a eu l’appui d’aucun plan.

Pétri d’instinct et de peur,

une fois dehors étourdi

par le corps-à-corps qu’il a livré

ébloui par sa liberté

mais orphelin de sa cause.

 

Développement tenu il n’a

plus rien que (sauf) son champ libre

(trop grand peut-être)

comme un recommencement.

 

vendredi 10 janvier 2025

jeudi 9 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 579


 

Ce levier de commande

 

Ce levier de commande, le croit-il

capable d’inverser l’enfer, de changer la donne ?

Croit-il s’en sortir indemne ?

C’est peut-être que la force de résistance

qualité par laquelle un corps résiste à l'action d'un autre corps

est en elle-même une issue.

Irréductible et formant

un tout ductile à l’ultime bout du manche

ainsi a-t-il trouvé son issue.

 

mercredi 8 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 578


 

Rat cramponné

 

Rat cramponné à ce qu’il a

(un bon tien)

haïssant ce qui l’accroche.

Il mord le manche sensé l’aiguiller

doucement vers l'issue - l’unique issue -

Hargneusement solidaire de ce levier (le croit-il

capable d’inverser l’action, de changer la donne ?) cramponné

à son illusion il est soulevé dans les airs jusqu’au seuil.

(Peste soit de cet attachement au pire

qui lui permet cependant de s’en sortir en chevauchant

sa méprise.)

 

mardi 7 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 577


 

une phrase que la nature infirme

 

une phrase que la nature infirme ou

semble seulement                        (infirmer, ici)

et je pense en lui faisant des signes

à cette phrase -

sauf si je suis la nature, aussi,

alors il est sauf  (et la phrase est sauve) -

comme une manifestation de ma nature.

 

lundi 6 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 576


 

Qu’est-ce qui ne se lit pas comme un signe ?

 

Qu’est-ce qui ne se lit pas comme un signe* ?

Ce gros rat gris, tout son corps élusif

prostré dans l’angle de la pièce, maladivement

immobile et prostré

(malgré mes efforts pour lui montrer la sortie)

sa visitation est une parfaite synchronie

alors que je cherche, moi, la source de cette phrase :

« la nature trouve toujours simplement une autre issue »

 

*C'est une réponse  (ou plutôt une question !) posée à Seamus Heaney, à propos de son poème « Les blaireaux » in Poèmes 1966-1984, nrf Gallimard, 2015, p. 78

Les visitations se lisent comme des signes.

 

dimanche 5 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 575


 

Chant d'éoliennes - comme j’emporte avec moi

 

comme j’emporte avec moi

passagère échevelée

couronnée d’aube

ces ceps géants (pensant mes vignes,

mes sources de vent

mes nuages dilacérés)

pensant Lares au-dessus des routes et des champs,

des maisons où penser le mouvement,

 

pensant Lares

nocturnes, discrets, aériens.

 

samedi 4 janvier 2025

À la boîte blanche, vues 574


 

Chant d'éoliennes - non pas deux mondes

 

non pas deux mondes déterminés et contigus

bien distincts l’un de l’autre - francs confins

dont il faudrait enjamber le seuil -

 

mais deux plans obtus qui se compénètrent

et coexistent l’un dans l’autre

(nécessaires l’un à l’autre

comme rétrospectivité et prospectivité

dans toute méthode)

 

se télescopent parfois

comme la mémoire le fait

(mais le train au ralenti entre

interminablement

en gare de l’est

aussi prudent qu’incertain de ses fins, dirait-on)

 

car aucune vérité n’est statique,

au contraire

c’est une expérience partageable et partagée du mouvement