vendredi 31 janvier 2025
peu importe
peu importe, nous ne sommes pas les premiers
à tenter de passer ici,
sous ce noyer habillé de brume
noire comme les reliefs d’un sabbat
on le croirait, on y a cru, mais c’était avant
(désormais rien ne nous arrête plus)
(hum, dérisoire lente avancée
sans franchissement jamais)
Toi, ne cède pas devant les malheurs, mais avec plus d'audace
suis la route que te permettra la Fortune* aurait vaticiné la sibylle
et oui, on y va
après avoir marqué la pause sous le noyer.
*Virgile, Énéide, chant VI, 95-96
jeudi 30 janvier 2025
comme pris au piège de la juglone
comme pris au piège de la juglone
ou d’une sibylle à l’énigmatique
oraculaire sentence
tu ne passeras pas ? Pas l’hiver ou le pas ?
peut-être pas ; juste un amas de gouttelettes
en suspension masquant la profondeur
à toute épreuve)
mercredi 29 janvier 2025
non, il nous effleure seulement
non, il nous effleure seulement
et nous filons
- les arbres tiennent la nuit ici
les noyers tiennent des haillons de brume
que nous prenons naïvement pour des reliefs
(peut-être les oripeaux de nos prédécesseurs
jugulés
mardi 28 janvier 2025
émaillent l’obscurité
émaillent l’obscurité
rayonnants d’un pouvoir non exercé :
celui de faire de leur rets calciné
tendu par-dessus la route
le filet qui nous prend
lundi 27 janvier 2025
La nature trouve toujours simplement une autre issue
La nature trouve toujours simplement une autre issue ;
ils jalonnent l’hiver
sur cette voie peu empruntée
(pistent notre effarement)
dimanche 26 janvier 2025
Signes noirs dans la nuit noire
Signes noirs dans la nuit noire
embrumée et plus tangible d’être
obturée ainsi
ils tendent des bras
défeuillés par incompatibilité avec
la croissance continue
(leur libéralité n’est pourtant plus à démontrer
en son temps)
mais endurant la nuit
mais opérants, bras
plus présents dans l’obtus
l’obscur hiver.
Embrassent (de plein fouet)
notre lumière qui passe.
samedi 25 janvier 2025
Non pas terres vaines, non,
Non pas terres vaines, non,
il suffit de passer sous ces arbres
de frôler les haies de ronciers
et d’églantiers, de prunelliers (on sait
ce que ça donne
en plein jour ou en pleine saison
ça n’est pas plus humain,
seulement plus familier).
Où, de nuit, un monde
confiant dans ses ténèbres
s’adonne à la perception.
vendredi 24 janvier 2025
(C’est là que cette petite route
(C’est là que cette petite route
sinue entre des guérets luisants
et la façade des bois
un rempart long et mouvant
fortifiant la brume
elle est bordée de tragédiennes
effigies, des noyers tors dans les phares,
des chênes lents enclins vers notre passage,
lent pour voir le répit des daines.)
jeudi 23 janvier 2025
[l'issue] vers quelque lieu ouvert, à investir, vers un toi irrévocable, vers une réalité à invoquer
[l'issue]
vers quelque lieu ouvert, à investir, vers un toi irrévocable, vers une réalité à invoquer
dit Paul Celan*
sachant que ce transport est la cible, la seule cible plausible
- comme il est aussi celle de la flèche rapide qui traversa les douze haches
pour qu’Ulysse recouvre sa légitimité irrévocable,
et
l’agent de notre dénuement -)
J’ai pensé à la daine percluse,
des doutes entravant sa fuite, et
à son répit, son regard en arrière
dans la brume transpercée de nos phares.
*Paul Celan, « Discours de Brême », dans Poèmes, trad. de John E. Jackson, Le Muy, Unes, 1987, p. 17
mardi 21 janvier 2025
Le retranchement et la cause perdue.
Le retranchement et la cause perdue.
J’ai pensé à nos vies butées dans la terreur
comme figées parfois
(dans le porte-à-faux entre la blessure - notre méfiance
vis à vis de la libéralité, toute croissance flatteuse - et
le désir - malgré tout - et sans objet, l’issue
lundi 20 janvier 2025
Moi qui comptais apprendre de toi
Moi qui comptais apprendre de toi la nature
(la ruse
l’expédient, la vélocité).
J’ai vu l’accablement,
l’accul terrifié
la nature fourbue. Le fourvoiement.
samedi 18 janvier 2025
Ou ce faux-semblant
Ou ce faux-semblant, et de jaillir sur toute main tendue ?
Ta robe justement, grise qu’on dit brune
comme l’hiver
la nuit, les murs bruns le sol de béton lissé gris souris
d’une buanderie fanée
austère, où tu apparaissait perdu après un jeûne certain.
Ton hypothèse c’était que l’endroit offrirait un lieu sûr ?
Que la nature trouverait toujours simplement une autre issue ?
Ou t’es-tu rué à l’intérieur parce que ça c’est la nature,
la ruée, l’impétueux transport
la portée d’un objet lancé ?
Le cerveau se rue-t-il avec son corps
comme tu t’es jeté ensuite sur le manche
mu par l’instinct de survie
comme tu as mordu son extrémité, retranché tu étais
dans tes limites, rat, les confins atteints
de tous tes possibles
ta vie troublée de rat démuni ?
vendredi 17 janvier 2025
Il y a une chose que je ne comprends pas
Il y a une chose que je ne comprends pas, rat,
c’est pourquoi tu es entré chez nous.
Que faisais-tu dans cette voie sans issue
à l’endroit de cet angle obtus qui te rend si proche de tout
l’inintelligible, avec ta volonté d’éluder chaque confrontation,
de te dérober dans les murs ?
jeudi 16 janvier 2025
J’ ai pensé : je viens avec toi.
J’ ai pensé : je viens avec toi.
Je deviens rat, nous confrontons nos solipsismes je
mords avec toi, nous mordons
(de concert)
le manche qui nous éperonne
la pierre, la plume, le sarment.
Nous pratiquons la cavale.
Nous crions, nous faisons du bruit avec nos pieds.
Nous ratifions le binôme, la morsure collatérale et la rage commune.
Nous fêtons notre bravoure sous la lune.
Nous embrassons le monde.
L’issue c’est l’amour.
mercredi 15 janvier 2025
Des cris stridents
Des cris stridents puis le silence,
tant de ressentiment et de hargne
devant ta propre impuissance (que tu croyais)
alors que la porte avait été grande ouverte
et le restait.
Je te regardais d’abord interdite. J’ai pensé :
l’issue c’est la rage, sûrement.
mardi 14 janvier 2025
Notre rat qui es au monde
Notre rat qui es au monde
aussi perplexe, à ce que je vois, que moi-même
irrésolu de nouveau (bien qu’ayant trouvé
un départ dans la valériane et la rue
au pied de l’espalier de vigne qui t’accueille de tout temps)
veux-tu filer d’ici, aller voir ailleurs si j’y suis,
montrer les dents au monde entier !
(Ta détermination avec les dents.)
lundi 13 janvier 2025
« Une autre issue »
« Une autre issue », est-ce que ça n’est pas
une intime résolution
ou même un expédient brièvement adopté,
et dans une urgence certaine
le moyen d’échapper non pas au monde
mais à la contrainte méthodique du sens et
des fins donnés, et du monde que nous nous faisons ?
La nature a cette ressource.
Nous qui sommes la nature avons aussi cette ressource.
Rien ne réalise mieux notre monde, finalement
que ces déviations intempestives, ces travers,
ces travers qui tissent - autrement - des passages.
dimanche 12 janvier 2025
Il attend
Il attend
plein de prudence
parmi les pieds de valériane et la rue.
Il recouvre la lumière l’herbe et la pluie
la vue et l’odorat.
D’issue, je ne sais pas si c’en est une
car il semble accablé par la charge et l’étendue.
L’issue donne toujours sur le monde.
Pas d’autre dénouement que cet ici.
Les rats le savent d’instinct, on dirait,
qui ont en laboratoire servi tant de postulats.
samedi 11 janvier 2025
Lui n’a eu l’appui d’aucun plan.
Lui n’a eu l’appui d’aucun plan.
Pétri d’instinct et de peur,
une fois dehors étourdi
par le corps-à-corps qu’il a livré
ébloui par sa liberté
mais orphelin de sa cause.
Développement tenu il n’a
plus rien que (sauf) son champ libre
(trop grand peut-être)
comme un recommencement.
vendredi 10 janvier 2025
Est-ce qu’il maîtrisait les degrés de l’air ?
Est-ce qu’il maîtrisait les degrés de l’air ?
Non, sa terreur surtout,
et de dent sûre
il restait cramponné à elle.
Néanmoins sa terreur le sauve comme un pont aérien.
jeudi 9 janvier 2025
Ce levier de commande
Ce levier de commande, le croit-il
capable d’inverser l’enfer, de changer la donne ?
Croit-il s’en sortir indemne ?
C’est peut-être que la force de résistance
qualité par laquelle un corps résiste à l'action d'un autre corps
est en elle-même une issue.
Irréductible et formant
un tout ductile à l’ultime bout du manche
ainsi a-t-il trouvé son issue.
mercredi 8 janvier 2025
Rat cramponné
Rat cramponné à ce qu’il a
(un bon tien)
haïssant ce qui l’accroche.
Il mord le manche sensé l’aiguiller
doucement vers l'issue - l’unique issue -
Hargneusement solidaire de ce levier (le croit-il
capable d’inverser l’action, de changer la donne ?) cramponné
à son illusion il est soulevé dans les airs jusqu’au seuil.
(Peste soit de cet attachement au pire
qui lui permet cependant de s’en sortir en chevauchant
sa méprise.)
mardi 7 janvier 2025
une phrase que la nature infirme
une phrase que la nature infirme ou
semble seulement (infirmer, ici)
et je pense en lui faisant des signes
à cette phrase -
sauf si je suis la nature, aussi,
alors il est sauf (et la phrase est sauve) -
comme une manifestation de ma nature.
lundi 6 janvier 2025
Qu’est-ce qui ne se lit pas comme un signe ?
Qu’est-ce qui ne se lit pas comme un signe* ?
Ce gros rat gris, tout son corps élusif
prostré dans l’angle de la pièce, maladivement
immobile et prostré
(malgré mes efforts pour lui montrer la sortie)
sa visitation est une parfaite synchronie
alors que je cherche, moi, la source de cette phrase :
« la nature trouve toujours simplement une autre issue »
*C'est une réponse (ou plutôt une question !) posée à Seamus Heaney, à propos de son poème « Les blaireaux » in Poèmes 1966-1984, nrf Gallimard, 2015, p. 78
Les visitations se lisent comme des signes.
dimanche 5 janvier 2025
Chant d'éoliennes - comme j’emporte avec moi
comme j’emporte avec moi
passagère échevelée
couronnée d’aube
ces ceps géants (pensant mes vignes,
mes sources de vent
mes nuages dilacérés)
pensant Lares au-dessus des routes et des champs,
des maisons où penser le mouvement,
pensant Lares
nocturnes, discrets, aériens.
samedi 4 janvier 2025
Chant d'éoliennes - non pas deux mondes
non pas deux mondes déterminés et contigus
bien distincts l’un de l’autre - francs confins
dont il faudrait enjamber le seuil -
mais deux plans obtus qui se compénètrent
et coexistent l’un dans l’autre
(nécessaires l’un à l’autre
comme rétrospectivité et prospectivité
dans toute méthode)
se télescopent parfois
comme la mémoire le fait
(mais le train au ralenti entre
interminablement
en gare de l’est
aussi prudent qu’incertain de ses fins, dirait-on)
car aucune vérité n’est statique,
au contraire
c’est une expérience partageable et partagée du mouvement