mardi 26 mars 2019

Maintenant je vois/que tout s'est dérobé


Maintenant je vois
que tout s’est dérobé,
bien que j’aie tout désiré,
et comme dans la nuit qui enlève aux choses
leur couleur*       
j’erre dans un pré inconsistant
et désert.
Je regarde de tous côtés,
personne ne vient me parler,
seul le vent qui secoue fortement
les branches, au lieu vécu
- méconnaissable -  inaperçu
du tilleul
presque démembré

Je réfléchis qu’un poème fixe ces choses
- ou une image en les prolongeant -
et bâtit l’abri à la vie singulière
car seul il permet
de résister aux vents,
et à ce qui nous terrasse.
Je réfléchis qu’un poème accomplit
la mémoire dans l’impatience -
initiation de toute façon, à l’air
à la lumière, et à l’espace -
et stabilise les berges comme l'iris.

Monde que j’avais perdu
je te retrouve - concrètement -
dans le poème que j’écris
- haut lieu des incidences
mémoire accomplie de l’incidence -
qui n’ignore pas la désolation ni la mort - ça non -
mais les invoquant les transmue.

Faible sous l’assaut du vent est la branche
je gravis avec elle les degrés de la couleur
- le soleil revient, la pluie cesse de battre, le vent
s’en va -

* Virgile, L’Enéide, Livre VI, vers 272   

il est facile de descendre dans l'Averne :
nuit et jour, la porte du sombre Dis est ouverte ;
mais revenir sur ses pas et s'échapper vers les brises d'en haut,
c'est là l'épreuve, voilà la difficulté. Virgile, L’Énéide, Livre VI, vers 125-128

…Seulement ne confie pas tes chants à des feuilles,
de peur qu'ils ne s'envolent, jouets des vents subtils ;
chante-les toi-même, je t'en prie.  Virgile, L’Énéide, Livre VI, vers 73-75, Énée à la Sibylle

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