Maintenant je vois
que tout s’est dérobé,
bien que j’aie tout désiré,
bien que j’aie tout désiré,
et comme dans la nuit qui enlève aux choses
leur couleur*
j’erre dans un pré inconsistant
et désert.
Je regarde de tous côtés,
personne ne vient me parler,
personne ne vient me parler,
seul le vent qui secoue fortement
les branches, au lieu vécu
- méconnaissable - inaperçu
du tilleul
presque démembré
Je réfléchis qu’un poème fixe ces choses
- ou une image en les prolongeant -
et bâtit l’abri à la vie singulière
car seul il permet
de résister aux vents,
et à ce qui nous terrasse.
Je réfléchis qu’un poème accomplit
la mémoire dans l’impatience -
initiation de toute façon, à l’air
à la lumière, et à l’espace -
et stabilise les berges comme l'iris.
Monde que j’avais perdu
je te retrouve - concrètement -
dans le poème que j’écris
- haut lieu des incidences
mémoire accomplie de l’incidence -
qui n’ignore pas la désolation ni la mort - ça non -
mais les invoquant les transmue.
Faible sous l’assaut du vent est la branche
je gravis avec elle les degrés de la couleur
- le soleil revient, la pluie cesse de battre, le vent
s’en va -
* Virgile, L’Enéide,
Livre VI, vers 272
il est facile de
descendre dans l'Averne :
nuit et jour, la porte
du sombre Dis est ouverte ;
mais revenir sur ses
pas et s'échapper vers les brises d'en haut,
c'est là l'épreuve,
voilà la difficulté. Virgile, L’Énéide,
Livre VI, vers 125-128
…Seulement ne confie
pas tes chants à des feuilles,
de peur qu'ils ne
s'envolent, jouets des vents subtils ;
chante-les toi-même,
je t'en prie. Virgile, L’Énéide,
Livre VI, vers 73-75, Énée à la Sibylle
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